CA Paris, 24 octobre 2018, n°16/10932
Est condamné le franchiseur ayant remis un DIP incomplet, transmis un prévisionnel grossièrement erroné, alors que de nombreux points de vente franchisés du réseau se trouvaient en difficulté financière, les obligations du franchiseur consistant à garantir la réitération de son propre succès.
En l’espèce, pour considérer qu’un franchiseur commet une faute de nature à engager sa responsabilité, l’arrêt commenté constate ce qui suit :
- le franchiseur a remis un DIP lapidaire : il est souligné en effet que « le document d’information pré contractuelle (pièce 101 des appelants) remis à la société (franchisée), est extrêmement succinct (6 pages) et ne mentionne, au titre de la description du marché local, que la mention suivante : « d’après le Cételem les indices de disparité de la consommation (IDC) calculés par cet organisme, la part du département 59 est estimée à 3,92 % et celle du département 62 à 2,18 % du marché français ». Aucune mention relative aux autres magasins du réseau implantés dans la zone géographique n’y figure. » ;
- le franchiseur a transmis un prévisionnel grossièrement erroné : l’arrêt retient sur ce point que « la comparaison avec les chiffres prévus dans les prévisionnels met en évidence un écart substantiel de 78,15 % en année 1, et un écart moyen de 49 % pour les années 3 à 5, par rapport aux prévisions pour l’année 3 », que « la société F. ne tente même pas de démontrer la vraisemblance des chiffres des prévisionnels en produisant les chiffres de ses autres franchisés », que « l’écart entre les prévisionnels et les chiffres réalisés par le franchisé dépasse la marge d’erreur inhérente à toute donnée de nature prévisionnelle », et que « le franchiseur ne démontre pas par ailleurs que le franchisé aurait été responsable de ces mauvais chiffres » ;
- de nombreux points de vente du réseau se sont trouvés en difficulté : l’arrêt souligne à ce titre que « (le franchiseur) n’explique pas que 41 % des points de vente aient fermé » ;
- l’expérience éprouvée du franchisé dans le secteur ne dispensant pas le franchiseur de lui dispenser des informations sincères, sous peine de vider la loi de tout contenu.
Ce faisant, la motivation de l’arrêt commenté s’articule comme suit :
- le franchiseur a engagé sa responsabilité en fournissant à la société franchisée des données erronées et non significatives, celles-ci ayant provoqué dans l’esprit du franchisé une erreur sur la rentabilité de son activité,
- les chiffres prévisionnels transmis à la société franchisée par le franchiseur, étant exagérément optimistes au regard de l’écart très important qu’ils présentent avec les chiffres d’affaires effectivement réalisés par la société franchisée, à laquelle il n’est reproché aucune faute de gestion, étaient déterminants pour le consentement éclairé du franchisé et portaient sur la substance même du contrat de franchise, pour lequel l’espérance de gain est déterminante. Ce dol a été amplifié par le caractère excessivement succinct du DIP de six pages, muet sur la concurrence locale et l’état du réseau. Le consentement des appelants a donc été trompé par l’absence des informations précontractuelles exigées par la loi et, dans ce contexte de renseignements trop lacunaires sur l’état du marché, par la communication de chiffres exagérément optimistes,
- si le franchisé a le devoir de se renseigner lui-même sur l’état du marché et de réaliser ses propres calculs de rentabilité (F.-L. Simon, Le devoir du franchisé de « se » renseigner, Etude d’ensemble, Mai 2015), il ne peut pour autant suppléer à toutes les carences du franchiseur, dont les obligations particulières sont de garantir la réitération de son propre succès, ce qui implique à tout le moins la délivrance d’un DIP aussi complet que possible et de chiffres vraisemblables,
- les chiffres transmis, par leur caractère erroné, et la rétention d’informations essentielles pour apprécier la rentabilité du réseau sont révélateurs de la volonté délibérée du franchiseur de tromper le consentement du franchisé.
Observons qu’en retenant en l’espèce que le franchiseur a engagé sa responsabilité en fournissant à la société franchisée des données erronées et non significatives, « celles-ci ayant provoqué dans l’esprit du franchisé une erreur sur la rentabilité de son activité », l’arrêt commenté s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence consacrant la notion d’erreur sur la rentabilité.
Ainsi, la Cour de cassation admet-elle l’erreur sur la rentabilité comme cause de nullité du contrat de franchise (Cass. com., 4 octobre 2011, n°10-20.956) :
« après avoir constaté que les résultats de l’activité du franchisé s’étaient révélés très inférieurs aux prévisions et avaient entraîné rapidement sa mise en liquidation judiciaire, sans rechercher si ces circonstances ne révélaient pas, même en l’absence de manquement du franchiseur à son obligation précontractuelle d’information, que le consentement du franchisé avait été déterminé par une erreur substantielle sur la rentabilité de l’activité entreprise, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
De même, plusieurs arrêts ont par la suite affirmé que l’erreur sur la rentabilité constituait une erreur substantielle justifiant en conséquence l’annulation du contrat de franchise :
- « ayant retenu que les chiffres prévisionnels contenus dans ce document, fournis par le franchiseur, sont exagérément optimistes au regard de l’écart très important qu’ils présentent avec les chiffres d’affaires réalisés par la société [franchisée], à laquelle il n’est reproché aucune faute de gestion, et relevé que ces données portent sur la substance même du contrat de franchise, pour lequel l’espérance de gain est déterminante, la cour d’appel (…) et qui a fait ressortir le caractère déterminant des chiffres communiqués, a caractérisé le vice du consentement qu’elle a retenu pour prononcer l’annulation du contrat » (Cass. com., 12 juin 2012, n°11-19.047) ;
- « la société [franchisée] avait été déterminée à conclure le contrat de franchise sur la base d’informations erronées et trompeuses et d’un prévisionnel non sérieux, laissant escompter des résultats bénéficiaires qui n’étaient pas réalisables, et que son consentement avait dès lors été vicié » (Cass. com., 17 mars 2015, n°13-24.853 et 14-10.365).
A rapprocher : Cass. com., 17 mars 2015, n°13-24.853 et 14-10.365 ; Cass. com., 12 juin 2012, n°11-19.047 ; Cass. com., 4 octobre 2011, n°10-20.956