CA Angers, 17 février 2015, RG n°13/00964, Juris-Data n°2015-004872
Selon cette décision, le franchiseur ne peut utilement se prévaloir d’un manquement du franchisé lorsqu’il ne l’a pas critiqué au cours de l’exécution du contrat.
En règle générale, la jurisprudence se montre prudente quant à l’interprétation à donner au silence du franchiseur en présence d’une faute contractuelle commise par le franchisé au cours de l’exécution du contrat. Ainsi, la jurisprudence considère-t-elle notamment que :
le franchiseur peut se prévaloir de la violation du concept par le franchisé, jusqu’à la signification par celui-ci de la résiliation du contrat, alors même que ces manquements, constatés antérieurement, n’avaient donné lieu à aucune réclamation ou critique (CA Bordeaux, 24 janv. 2007, RG n°04/06594) ;
le fait d’avoir perçu les redevances sur la totalité du chiffre d’affaires, comprenant la commercia-lisation de produits non référencés par le franchiseur, ne constitue pas de la part de celui-ci une acceptation de la vente par le franchisé desdits produits (CA Angers, 19 déc. 2006, Juris-Data n°330903).
Dans ce contexte, la décision commentée (CA Angers, 17 février 2015, RG n°13/00964, Juris-Data n°2015-004872) nous paraît critiquable.
En effet, pour prononcer la résiliation judiciaire du contrat de franchise aux torts exclusifs du franchiseur, pour manquements contractuels au contrat de franchise à effet de sa décision, la Cour d’appel d’Angers écarte certains des griefs du franchiseur, au motif que celui-ci ne les aurait pas formulés au cours de l’exécution du contrat de franchise. En l’espèce, le franchiseur prétendait que la société franchisée était à l’origine de plusieurs manquements contractuels importants justifiant la résiliation du contrat de franchise, tout en précisant qu’avant d’être assignée en résiliation du contrat, elle avait fait le choix de ne pas se prévaloir expressément de ces inexécutions, « afin de préserver son réseau et de tenter de trouver une solution amiable, mais sans aucunement renoncer à les invoquer ».
A cet égard, la Cour d’appel d’Angers retient : « Attendu en ce qui concerne les fautes reprochées par la société [franchiseur] à son franchisé, qu’il est constant que la société [franchisée] n’a pas respecté le taux de fidélité (achats de produits dans le référencement du franchiseur) de 80% imposé à l’article 6-5-2 du contrat ; que les mails échangés le 8 octobre 2008 ne permettent pas de considérer que les parties avaient entendu déroger à cette obligation, dès lors qu’elle a été reprise dans la convention signée après, et ce d’autant plus qu’ils peuvent être interprétés dans un sens comme dans l’autre, la société [franchisée] demandant le maintien de ‘la prime RFA même si les 80% achats n’est pas respecté’ et la société [franchiseur] répondant ‘nous en avons parlé hier au téléphone. Nous privilégions le commerce’ ; que cependant, force est de constater que la société [franchiseur] n’a jamais fait état dans ses comptes rendus de visite du non respect de ce taux de fidélité, alors pourtant que les achats de produits référencés M… par la société [franchisée] étaient bien inférieurs à ce qui figurait au contrat (56% en 2009-2010, 59% en 2010-2011 et 37% en 2011-2012) ; que s’il ne peut en être déduit qu’elle a renoncé à s’en prévaloir, en revanche, son attitude démontre qu’elle ne considérait pas cette obligation comme importante, se satisfaisant de ce que la redevance était payée sur le chiffre d’affaire total ».
Cette solution peut paraître d’autant plus problématique que l’interprétation du comporte-ment des parties par le juge du fond participe de son pouvoir souverain d’appréciation, dont le fran-chiseur peut craindre qu’il échappe au pouvoir de contrôle de la Cour de cassation.
Ce faisant, la solution ainsi retenue par la décision commentée invite à rappeler l’intérêt de recourir à l’insertion d’une clause d’immutabilité dans le contrat de franchise.
La clause d’immutabilité consiste en effet à interdire à une partie d’opposer à son cocontractant l’inap-plication par ce dernier de l’une des clauses du contrat. Ainsi, le fait pour le franchiseur de ne pas faire application de telle ou telle clause du contrat pendant un laps de temps ou une période, même longue, ne peut en aucun cas être interprété comme valant renonciation par le franchiseur aux droits qu’il tient de ladite clause. Une telle clause évite donc d’analyser le comportement du franchiseur – quels qu’en soient la nature, la fréquence, et les modes de manifestation – comme une renonciation à invoquer un droit qu’il tient des stipulations du contrat de franchise. Autrement dit, les droits et obligations du contrat sont immuables et le comportement du franchiseur – qui peut parfois être amené à consentir quelques « largesses » ou à se contenter d’un simple silence – ne pourra donc jamais s’analyser en une remise en cause du contrat.
Par exemple, la clause d’immutabilité doit permettre que tout délai supplémentaire accordé par le franchiseur doit être considéré comme ayant été donné à titre exceptionnel et ne saurait donc en aucun cas avoir pour effet de modifier le délai initial fixé aux termes du contrat ; de même, en présence d’une telle clause, l’absence de contestation du franchiseur face à l’ouverture d’un nouveau point de vente par le franchisé sans l’autorisation requise par le contrat, empêche de considérer que le franchiseur a pu accepter l’ouverture du point de vente considéré. L’on mesure, à travers ces deux exemples simples, l’importance d’une telle clause, apparemment anodine mais qui, au plan contentieux, pourra faire la différence.