Sauf circonstances exceptionnelles, le franchisé ne disposant pas de comptes prévisionnels d’activité ne peut reprocher au franchiseur de l’avoir trompé en fixant, par une clause d’objectif minimum, des quotas de chiffres d’affaires irréalistes.
Ce qu’il faut retenir : Sauf circonstances exceptionnelles, le franchisé ne disposant pas de comptes prévisionnels d’activité ne peut reprocher au franchiseur de l’avoir trompé en fixant, par une clause d’objectif minimum, des quotas de chiffres d’affaires irréalistes.
Pour approfondir : Le commentaire de cette décision impose tout d’abord de situer les choses dans leur contexte.
La clause d’objectif minimum est celle par laquelle un cocontractant (le plus souvent une tête de réseau) fixe au distributeur (un franchisé, affilié, concessionnaire, licencié, etc.) un chiffre d’affaires minimum à atteindre (lorsqu’il s’agit de tenir compte des ventes devant être réalisées). Il peut s’agir également d’un montant minimum des achats à réaliser par ce distributeur auprès de fournisseurs référencés ou d’une centrale d’achats par exemple, exprimé en volume ou en proportion ; on utilise alors le plus souvent l’expression « clause d’achat minimum » ou « clause de quotas d’achats » pour les désigner. De telles clauses prévoient le montant exact des objectifs attendus du distributeur ainsi que les modalités d’appréciation, par exemple sur l’année écoulée, sur les derniers trimestres consécutifs, etc. Elles prévoient également la sanction attachée au non-respect de cette obligation, qui varie selon l’économie générale du contrat ; il peut s’agir notamment de la résiliation du contrat (CA Grenoble, 10 janvier 2013 ; Cass. com., 16 déc. 1997, n°96-14.515 ; Cass. com., 21 mai 1996, n°94-17.452), ou de la perte de l’exclusivité territoriale (CJCE 30 avr. 1998, aff. C-230/96, Cabour SA et Nord Distribution Automobile SA c/ Arnor Soco SARL). On a déjà eu l’occasion de signaler bon nombre des subtilités attachées à l’utilisation de telles clauses (F.-L. Simon, Les mystères de la clause d’« objectif minimum » : CLIQUEZ ICI).
Les comptes prévisionnels sont constitués d’un ensemble de données chiffrées destinées à anticiper la rentabilité future la plus probable de l’activité d’une entreprise et à obtenir le financement nécessaire au démarrage de celui-ci. Selon les cas, il peut s’agir (i) de comptes prévisionnels stricto sensu, qui désignent alors l’équivalent d’un compte de résultat (on parle alors de « comptes de d’exploitation prévisionnels ») ; (ii) de comptes prévisionnels simplifiés, faisant apparaitre les principaux postes d’un compte de résultat sans toutefois tous les reprendre de manière exhaustive (on parle alors parfois de simple « Business plan ») ; (iii) d’un CA prévisionnels, qui ne désigne alors que le seul poste se rapportant aux ventes devant être réalisées (on parle alors de « CA prévisionnels »). Et, au plan juridique, que la tête de réseau n’est pas légalement tenue de fournir des comptes prévisionnels au distributeur, mais qu’elle peut toutefois engager sa responsabilité lorsqu’il est démontré qu’elle a établi ou validé des comptes prévisionnels manifestement irréalistes.
Il ne va pas de soi, du moins de prime abord, que ces deux notions se correspondent. C’est pourtant la leçon principale, au demeurant logique, qui découle de l’arrêt rendu le 10 mars 2015 par la Cour d’appel de Montpellier. Dans cette affaire, une société franchisée se prévalait de quotas exagérément optimistes l’ayant induite en erreur sur la rentabilité de la franchise, alors même qu’aucun compte prévisionnel n’avait été établi (tant par le franchiseur que par le franchisé). Par l’arrêt commenté, la Cour d’appel de Montpellier écarte cette demande par une motivation s’articulant en trois propositions ; les juges du fond retiennent tout d’abord qu’il ne peut pas être reproché utilement à la société franchiseur d’avoir trompé son partenaire « en fixant des quotas de chiffres d’affaires prétendument irréalistes alors même que (le franchisé) n’a pas fourni de comptes prévisionnels d’activité » ; la Cour d’appel de Montpellier ajoute aussitôt qu’« en sa qualité de commerçant indépendant, il appartenait, le cas échéant, (au franchisé) de faire procéder à un compte d’exploitation prévisionnel en fonction de la situation existant avant la conclusion du contrat de franchise, en tenant compte notamment des quotas fixés par le franchiseur », avant de conclure que « le fait que la société (franchisée) n’ait pas atteint ces quotas, ne sauraient caractériser une tromperie délibérée du franchiseur sur la rentabilité de l’activité et sur l’espérance de gain », de sorte que « le dol et l’erreur substantielle allégués ne sont pas avérés ».
Cette motivation, assez riche, suscite plusieurs observations. En premier lieu, tout objectif figé dans une clause – qu’il s’agisse d’une clause d’objectif minimum ou d’une clause d’achat minimum – doit être « réalisable », « réaliste », « atteignable », « proportionnée », selon les expressions indistinctement utilisées en jurisprudence, à défaut de quoi la jurisprudence les répute non écrite (Cass. com., 29 janv. 2008, n°06-20.808, Juris-Data n°042625 ; CA Paris, 20 avril 2000, Juris-Data n°2000-112577 ; Cass. com., 13 mai 1997, Juris-Data n°1997-002082 ; Cass. com., 13 mai 1997, Juris-Data n°002082) ; cette jurisprudence est connue. En second lieu, il incombe au débiteur de l’obligation (le franchisé au cas d’espèce) de rapporter la preuve du caractère irréaliste des objectifs contractuellement envisagés. Ce faisant, le fait que le franchisé n’ait pas atteint ces objectifs, ne sauraient caractériser en soi une tromperie délibérée du franchiseur sur la rentabilité de l’activité et sur l’espérance de gain, ce que souligne expressément la Cour d’appel. En troisième lieu, la nature de l’obligation qui pèse sur le franchisé diffère d’un contrat à l’autre. Dans certains cas, il ne s’agit que d’une obligation de moyens ; dans d’autres, il s’agit au contraire d’une obligation de résultat. Tout dépend de la manière dont la clause est rédigée. En l’espèce, la discussion ne portait pas sur ce point, que nous signalons pour mémoire, la clause litigieuse comportant ici, à n’en pas douter, obligation de résultat. En quatrième lieu, lorsque la preuve du caractère irréaliste des objectifs contractuellement envisagés n’est pas rapportée ou que ces objectifs ne sont pas même contestés, il appartient alors au franchisé de respecter la clause, autrement dit le quota d’achats minimum ou le CA minimum selon le contenu de la clause considérée. Néanmoins, et pour des raisons tout aussi évidentes, le franchisé n’engage pas sa responsabilité contractuelle lorsqu’il refuse d’acheter au franchiseur un nombre de produits excédant les quotas contractuels, de sorte qu’il reste seul juge de l’intérêt à accroître ou diminuer le rythme de son activité, pour autant qu’il respecte les quotas (Cass. com., 28 avr. 2004, n 02-18.392). En cinquième lieu, sauf volonté contraire des parties, il appartient au franchisé, commerçant indépendant, d’établir ses propres comptes prévisionnels. En sixième lieu, pour conclure, il est considéré que le franchisé ne peut d’autant pas se prévaloir du caractère irréaliste des objectifs lorsqu’il ne justifie pas disposer de comptes prévisionnels. Cette solution ne doit pas être systématisée car l’absence de comptes prévisionnels n’augure pas, en définitive, le caractère réaliste des quotas litigieux ; l’un n’exclut pas l’autre, et réciproquement. Mais, au-delà de ces considérations d’ordre factuel, la motivation retenue est en soi logique. Voici en effet que le devoir du franchisé de se renseigner remonte de nouveau à la surface. Une fois le DIP transmis, il appartient en effet au franchisé de se renseigner. Traditionnellement, la jurisprudence écarte la demande de nullité du contrat de franchise lorsque, par exemple, le franchisé a disposé du temps nécessaire pour se renseigner, a pu entrer en contact avec les membres du réseau et n’a pas lui-même réalisé une étude de marché, propre à le renseigner sur l’opportunité d’intégrer ou non le réseau.
Ainsi, et c’est là l’apport le plus remarquable de la décision commentée, qui ajoute une nouvelle illustration du devoir de se renseigner, en faisant grief au franchisé de n’avoir pas réalisé en temps voulu les comptes prévisionnels qui auraient été de nature à lui permettre d’apprécier par avance la pertinence des objectifs fixés par la clause litigieuse, qu’il croit devoir subitement contester a posteriori.
A rapprocher : F.-L. Simon, Le devoir du franchisé de « se » renseigner : CLIQUEZ ICI