Absence de déloyauté du franchiseur qui organise la conversion de son réseau sous l’enseigne de son repreneur

GUILLÉ Jérôme

Avocat

CA Paris, 3 avril 2019, n°17/05173

Le franchiseur qui a organisé la cessation à une même date de l’ensemble des contrats de franchise dans le contexte de la cession de ses actifs à une enseigne concurrente n’a pas manqué à son obligation contractuelle de bonne foi vis-à-vis de ses franchisés.

En 2011, le groupe Enterprise Rent-a-Car a manifesté son intérêt pour acquérir les actifs de la société Citer, tête du réseau de franchise de location de courte durée de voitures « National/Citer ».

Dans ce cadre, au cours de l’année 2012, après avoir informé ses franchisés du projet ci-dessus en 2011, la société Citer a convenu avec ces derniers que les relations en cours prendraient fin au 31 décembre 2013, sans possibilité de reconduction tacite.

Après avoir été acquise par le groupe Enterprise Rent-a-Car, la société Citer a indiqué, à la fin de l’année 2012, qu’elle ne procéderait pas au renouvellement des contrats de franchise en cours au sein de son réseau et que les contrats de franchise arrivant à
échéance au 31 décembre 2013 ne seraient donc pas reconduits, les franchisés se voyant proposer de nouveaux contrats pour représenter l’enseigne Enterprise Rent-a-Car.

Par la suite, des instances ont opposé plusieurs anciens franchisés du réseau National/Citer à la société Citer, les franchisés reprochant à cette dernière une déloyauté dans l’exécution de ces obligations contractuelles et la conduite des opérations de cession du réseau.

C’est dans ce contexte qu’un litige a vu le jour entre la société Citer et son ancien franchisé d’Alfortville et Saint Maur a assigné la société Citer.

Le contrat de franchisé avait été conclu le 13 mars 2006 pour une période de 4 ans, renouvelable une fois pour deux ans par tacite reconduction. Le contrat de franchise s’est tacitement renouvelé, son terme devant intervenir en mars 2012.

Le 20 janvier 2012, le franchisé a signé un nouveau contrat de franchise avec la société Citer entrant en vigueur au 1er janvier 2012 pour une durée déterminée de 2 ans.

Dans le contexte ci-avant rappelé, le 17 décembre 2012, la société Citer a informé son franchisé que son contrat de franchise arrivant à échéance le 31 décembre 2013 ne serait pas reconduit.

Constatant plusieurs impayés de redevances, de loyers et de frais (dus en application d’un contrat de location conclu parallèlement), la société Citer a, le 15 avril 2014, assigné son ancien franchisé en paiement.

A titre reconventionnel, l’ex franchisé sollicitait la condamnation de la société Citer à lui verser diverses sommes en réparation des préjudices qu’elle estime avoir subi à raison des manquements de cette dernière à ses obligations contractuelles d’assistance, de coopération, de bonne foi dans l’exécution du contrat de franchise, et de la violation de ses obligations dans l’exécution du contrat de location de véhicules.

Par jugement du 9 février 2017, le tribunal de commerce de Paris a donné droit à la société Citer et débouté l’ancien franchisé de l’ensemble de ses demandes.

Devant la cour d’appel de Paris, l’ancien franchisé reproche à la société Citer une exécution déloyale et fautive du contrat de franchise ainsi que le non-respect de ses obligations inhérentes au contrat de location.

Au titre des manquements au contrat de franchise, le franchisé soutient notamment que la société Citer lui a, de manière déloyale, fait faussement croire qu’elle allait renouveler le contrat de franchise à son terme alors qu’il n’en a rien été.

Parmi ses autres griefs (qui ne seront pas tous repris dans le présent article), le franchisé reproche en outre à la société Citer d’avoir procédé à un changement brutal d’enseigne.

S’agissant du grief relatif à l’absence de renouvellement du contrat de franchise, la cour d’appel retient les circonstances suivantes pour débouter le franchisé :

  • tout d’abord, il n’y avait rien d’anormal à régulariser un nouveau contrat du 20 janvier 2012 quand le précédent contrat arrivait à son terme définitif le 12 mars 2012,
  • ensuite, il n’est pas établi que, lors du séminaire de 2011 au cours duquel elle a présenté le projet de rachat par le groupe Enterprise Rent-a-Car, la société Citer se serait engagée à renouveler de manière systématique, pour le futur, les contrats de franchise arrivés à leur terme et à maintenir de manière définitive le réseau de franchisés existant,
  • le contrat du 20 janvier 2012 était stipulé pour une durée de 2 ans à compter du 1er janvier 2012, non renouvelable par tacite reconduction.

Sur ce point, la cour d’appel conclut ainsi que le franchisé, dont le dirigeant est « professionnel de la vie des affaires et n’a en tout état de cause pu se méprendre sur la portée du contrat qu’il a signé notamment quant à son non renouvellement à l’échéance, ne peut utilement conclure à une attitude déloyale du franchiseur » ; ce faisant, elle se place sur le terrain de la validité du contrat du 20 janvier 2012 (en retenant que le consentement du franchisé n’a pas pu être vicié), non sur celui de la loyauté du franchiseur dans son exécution.

S’agissant du grief relatif au changement brutal d’enseigne, l’ancien franchisé reproche plus précisément à la société Citer de ne pas s’être assurée que le changement d’enseigne pour Enterprise Rent-a-Car ne causerait pas de préjudice à la notoriété du réseau et n’engendrerait pas de perte de clientèle pour les franchisés, alors que les marques « National » et « Alamo » avaient été transférées au concurrent Europcar, lequel aurait ainsi récupéré gratuitement les clients des franchisés et la notoriété des marques cédées, financées depuis des années par les dits franchisés.

En outre, la société Citer n’aurait pas protégé le sort des réservations de véhicules ni procédé à aucune communication pour annoncer le changement

d’enseigne, créant ainsi une véritable confusion dans l’esprit de la clientèle.

Pour débouter l’ancien franchisé de ses griefs à ce titre, la cour retient que la société Citer a bien procédé à une communication à l’égard de ses clients en attirant leur attention sur le passage à la nouvelle enseigne.

En outre, un élément déterminant pris en considération par la cour consiste dans le fait que, dans le cadre des informations précontractuelles préalables fournies à la fin de l’année 2011 aux franchisés, les modifications structurelles de la société Citer et ses conséquences pour les dits franchisés ont bien été portées à leur connaissance ; ainsi en est-il de la possible perte du droit d’utiliser les marques « National » et « Alamo ».

Là encore, l’analyse de la cour se place sur le terrain de la loyauté de l’information précontractuelle fournie avant la signature du contrat du 20 janvier 2012, non sur la loyauté dans l’exécution du contrat, dans le contexte spécifique du rachat et du passage sous une nouvelle enseigne.

En définitive, la cour d’appel maintient le principe du débouté de l’ancien franchisé de l’ensemble de ses demandes et sa condamnation au titre des loyers et redevances mais réduit le montant des condamnations prononcées en première instance.

A rapprocher : Non-renouvellement du contrat de franchise et abus de droit du franchiseur

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