Défaut d’état local du marché et validité du contrat de franchise

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

CA Versailles, 19 janvier 2016, RG n°14/06042

La transmission d’un DIP ne comportant pas l’état local du marché prévu à l’article R.330-1 du code de commerce n’emporte pas nécessairement la nullité du contrat de franchise.

Ce qu’il faut retenir : La transmission d’un DIP ne comportant pas l’état local du marché prévu à l’article R.330-1 du code de commerce n’emporte pas nécessairement la nullité du contrat de franchise.

Pour approfondir : Dans cette affaire, le franchisé (représenté par son mandataire liquidateur) sollicitait la nullité du contrat de franchise en application de l’article 1116 du code civil relatif au dol. Il invoquait différents griefs concernant la phase pré-contractuelle et, notamment, l’absence d’état local du marché.

Comme chacun sait, l’état local du marché est constitué d’un ensemble de données brutes, regroupées au sein d’un document présentant les principales caractéristiques du territoire sur lequel un distributeur doit exercer son activité. Il décrit au besoin la typologie de la clientèle (Age, Sexe, CSP), le nombre de prospect sur la zone concédée, la concurrence (nombre, adresse des points de vente, politique tarifaire, chiffre d’affaires, etc.), les caractéristiques économiques et géographiques de la zone. Ces données doivent être contemporaines de la date à laquelle l’état local du marché est réalisé. L’état local du marché ne doit pas être confondu avec l’état général du marché (que le franchiseur doit intégrer au DIP), ni avec l’étude de marché (que le franchisé a le devoir de réaliser une fois le DIP remis).

Or, pour écarter, en l’espèce, la demande de nullité du contrat de franchise à raison de l’absence d’état local du marché, la Cour d’appel de Versailles retient le syllogisme juridique suivant.

En premier lieu, la Cour d’appel de Versailles rappelle qu’aux termes de l’article 1116 du code civil, le dol est constitué « lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté », et que le dol peut être constitué par le silence d’une partie dissimulant à un cocontractant un fait qui, s’il avait été connu de lui, l’aurait empêché de contracter. Elle ajoute aussitôt qu’il appartient à celui qui s’en prévaut de démontrer son existence ; autrement dit, que le franchisé doit donc « rapporter la preuve de manœuvres, ou d’un silence, (du franchiseur) dans le dessein de les tromper ou de les conduire à contracter sans lesquelles elles n’auraient pas conclu ». Les dispositions de l’article 1116 du code civil sont à rapprocher de celles de l’article L. 330-3 du code de commerce, applicable au contrat de franchise, selon lequel le franchiseur doit fournir à l’autre partie « un document donnant des informations sincères qui lui permette de s’engager en connaissance de cause ».

En deuxième lieu, la Cour d’appel de Versailles retient qu’au cas d’espèce, le franchiseur n’avait commis que peu de fautes dans la phase pré-contractuelle. Après avoir relevé en effet que l’essentiel des indications fournies par le franchiseur dans son DIP étaient exactes (le DIP comportait les comptes du franchiseur, décrivait son expérience professionnelle, et contenait la liste et les coordonnées des franchisés ainsi que la date de l’ouverture des magasins, « de sorte que le franchisé était en mesure de connaître l’expérience du franchiseur et l’importance de son réseau »), la Cour d’appel de Versailles retient que l’état local du marché faisait défaut. Pour retenir que le franchiseur avait manqué à son obligation de transmission d’un état local du marché, les juges du fond soulignent successivement que « le franchiseur doit présenter le marché local mais n’est pas tenu de réaliser une étude de ce marché, celle-ci incombant au candidat à l’adhésion » puis qu’en l’espèce le DIP « renvoie à des contacts pour permettre la réalisation d’un état local du marché et fournit des données générales sur la situation économique de la ville » de sorte « qu’il ne constitue pas une présentation du marché et de ses perspectives de développement ».

En troisième lieu, et c’est là l’intérêt majeur de la décision commentée, la Cour d’appel de Versailles ne prononce pas pour autant la nullité du contrat de franchise, pas plus qu’elle ne retient la responsabilité du franchiseur. Elle énonce en effet que « le non-respect de l’article R. 330-1 ne donne lieu à l’annulation du contrat qu’à charge pour le franchisé de justifier d’un vice du consentement causé par cette violation, en l’espèce d’un dol » et « que les appelantes ne démontrent ni que cette absence de présentation du marché local et de ses perspectives de développement, nécessairement limitée, constitue une manœuvre ni que celle-ci a déterminé leur consentement ».

On ajoutera enfin qu’au cas présent le franchisé n’avait pas pris la peine d’établir lui-même une étude de marché, qui lui incombe pourtant conformément à la jurisprudence (v. not., Cass. com., 11 février 2003, pourvoi n°01-03932), ainsi que le rappelle la Cour d’appel de Versailles ; les parties se trouvaient donc dans la situation où le franchiseur n’avait pas transmis l’état local du marché, tandis que le franchisé n’avait pas réalisé son étude, sorte de situation qui n’est pas sans rappeler, en quelque sorte, la fable de l’aveugle et du paralytique (v. sur ce point précis, F.-L. SIMON, Le franchiseur qui n’a pas remis d’état local du marché peut-il reprocher à son franchisé de n’avoir pas réalisé d’étude de marché ? (Etude comparative de CA Colmar, 30 septembre 2015, RG n° 14/02315, CA Paris, 19 février 2014, RG n°11/19999 et CA Paris, 14 septembre 2011, RG n°09/02320)).

Que faut-il penser de cette décision ? Comment situer cette décision au regard de l’état du droit positif ? Quelle est l’incidence de l’absence d’état local du marché sur le succès d’une action en nullité du contrat de franchise ?

Deux séries de remarques s’imposent aussitôt.

Tout d’abord, la décision commentée s’inscrit dans la lignée des (désormais nombreuses) décisions retenant que la preuve du dol incombe toujours au franchisé (CA Paris, 17 décembre 2014, RG n°13/08615, et LDR janvier-février 2015) et que le juge doit à ce titre se livrer à une appréciation in concreto (CA Paris, 16 févr. 2005, Juris-Data n°273091 ; CA Paris, 13 janv. 1999, Juris-Data n°020634) ; nous entendons par là que le juge doit tenir compte d’un ensemble de circonstances propres au litige considéré ; ainsi, les critères suivants devront entrer en ligne de compte : le local exploité est-il une reprise ou une création ? Le franchisé est-il averti ou novice ? L’état local du marché, s’il avait été communiqué, aurait-il comporté des indications de nature à dissuader le franchisé de contracter ? Dans l’affirmative, le franchisé disposait-il des coordonnées des membres du réseau, a-t-il disposé d’un délai suffisant pour se renseigner et a-t-il réalisé lui-même une étude de marché ? Autant d’interrogations qui nous conduisent à une seconde observation.

Ensuite, en effet, il nous semble qu’une distinction importante s’impose :

Tout se tient.

A rapprocher : Pour ce qui concerne la validité du contrat de franchise en cas d’absence d’état local du marché : CA Paris, 7 oct. 2015, RG n°13/09827 ; Cass. com., 28 mai 2013, pourvoi n°11-27.256 – Pour ce qui concerne la validité du contrat de franchise en cas d’imperfection de l’état local du marché : CA Paris, 17 décembre 2014, RG n°13/08615

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