Cass. civ. 1ère, 30 mai 2018, n°17-14.303
La remise en cause, sur le fondement de l’article L. 442-6 I 2° du code de commerce, d’une clause de non-concurrence post-contractuelle insérée dans un contrat de franchise ne saurait prospérer que si et seulement si le franchisé démontre que celle-ci est disproportionnée au regard des obligations mises à la charge du franchiseur.
Ce qu’il faut retenir : La remise en cause, sur le fondement de l’article L. 442-6 I 2° du code de commerce, d’une clause de non-concurrence post-contractuelle insérée dans un contrat de franchise ne saurait prospérer que si et seulement si le franchisé démontre que celle-ci est disproportionnée au regard des obligations mises à la charge du franchiseur.
NB : A noter que, par l’arrêt commenté, la Cour de cassation se prononce pour la première fois sur l’application de l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce à une clause de non-concurrence post-contractuelle.
Pour approfondir :
1. Approche d’ensemble. La décision commentée s’inscrit dans un contexte qui mérite d’être rappelé pour en comprendre la portée exacte. Ce contexte peut être exposé à travers le rappel des données du litige, de l’instance de référé préalablement engagée, et de l’instance au fond qui aboutit à l’arrêt (de rejet) ici commenté.
Ce commentaire concerne le sort de la clause de non concurrence post-contractuelle figurant dans un contrat de franchise lorsque celle-ci se trouve remise en cause sur le terrain de l’article L. 442-6 I 2° du Code de commerce.
2. Données du litige. En l’espèce, la société X (franchisée) qui exploite un magasin d’alimentation, a signé un contrat de franchise le 28 avril 2008, sous l’enseigne S, avec la société C (franchiseur) ; ce contrat a fait l’objet d’un avenant le 4 juin 2010 ayant pour objet de prolonger la durée de la franchise de 7 années, la date du terme étant fixée au 1er juin 2017. En avril 2010, la société franchiseur a proposé à la société franchisée un nouveau logiciel pour le passage des commandes. Courant 2011, alors qu’un projet d’investissement nouveau pour le compte de l’enseigne a été envisagé dans le Haut Minervois, la société franchisée a finalement renoncé à y participer. Courant avril 2013, le dirigeant de la société Y de la société franchisée, a fait part de son souhait de vendre les parts de sa société dans le courant de l’année 2014, cette décision repoussée par l’intéressé à l’année 2015. La société franchiseur s’est mise à la recherche d’un repreneur de la société franchisée à la fin de 2013. Le 10 décembre 2013, la société franchisée a adressé une LRAR faisant grief à la société franchiseur, d’avoir installé des enseignes dans sa zone de chalandise sans avoir été informée par le franchiseur, ainsi que de problèmes informatiques récurrents entrainant, selon elle, des ventes à pertes dues aux anomalies liées au logiciel installé depuis 2010, fourni par le franchiseur. Puis, reprochant au franchiseur l’installation d’enseignes dans sa zone de chalandise et des dysfonctionnements récurrents du logiciel, le franchisé a unilatéralement résilié le contrat de franchise, par lettre du 27 décembre 2013, et a annoncé à sa clientèle un prochain changement d’enseigne.
Une action en référé et au fond ont alors été engagées.
3. Instance en référé. La société franchiseur a tout d’abord saisi le juge des référés aux fins de voir constater l’existence d’un trouble manifestement illicite, obtenir à titre de mesure conservatoire la poursuite forcée du contrat et, à titre subsidiaire, constater l’existence d’une rupture brutale d’une relation établie et, par voie de conséquence, ordonner durant le préavis prétendument nécessaire le maintien de la relation commerciale. Le juge des référés a fait droit aux prétentions de la société franchiseur par ordonnance du 21 janvier 2014, laquelle a constaté que la société franchiseur avait proposé dans les délais de substituer au logiciel un nouveau logiciel et qu’elle s’était donc acquittée de ses obligations contractuelles à l’égard de la société franchisée au regard des griefs soulevés par cette dernière dans sa mise en demeure du 10 décembre 2013. Il a donc estimé la résiliation du contrat de franchise brutale, abusive et constitutive d’un trouble manifestement illicite ; il a en conséquence ordonné à la société franchisée « la reprise et le maintien de ces relations contractuelles avec la société franchiseur telles qu’elles résultent du contrat de franchise et de son avenant jusqu’à ce qu’une décision au fond intervienne s’agissant de la rupture du contrat, et ce sous astreintes de 10 000 € par jour de retard et par infraction constatée à compter de la signification de la présente ordonnance ». Cette ordonnance a été confirmée par la Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 10 février 2015 – devenu définitif –, à la suite de la radiation du pourvoi formé par la société franchisée.
4. Instance au fond (Trib. com. Lyon, 24 juin 2014, n°2014J00105). C’est dans ce contexte en effet que, le 17 janvier 2014, la société franchiseur a assigné la société franchisée devant le Tribunal de commerce de Lyon, afin de la voir condamnée, au titre d’une résiliation unilatérale abusive du contrat, à la reprise ou au maintien des relations contractuelles et, à titre subsidiaire, au titre d’une rupture brutale des relations commerciales établies au sens de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce, au respect d’un préavis suffisant. Par jugement du 24 juin 2014, assorti de l’exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Lyon a – notamment – rejeté la demande de la société franchisée tendant à voir annuler le contrat de franchise du 28 avril 2008, dit que la clause résolutoire stipulée à l’article 13b du contrat de franchise du 28 avril 2008 n’a pas été mise en œuvre de bonne foi par la société franchisée, rejeté la demande formée par la société franchisée tendant au sursis à statuer dans l’attente du jugement du Tribunal de commerce de Marseille saisi d’une demande au titre de l’abus de dépendance économique, rejeté la demande formée par la société franchisée tendant à voir prononcer la résiliation judiciaire du contrat de franchise du 28 avril 2008, et ordonné à la société franchisée la reprise des relations contractuelles avec la société franchiseur résultant du contrat de franchise du 28 avril 2008 et de son avenant du 4 juin 2010 jusqu’à son terme, à savoir le 1er juin 2017, ce sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard à compter de la signification de la présente décision et par infraction, le juge du fond se réservant la faculté de liquider l’astreinte ainsi prononcée. Ce faisant, le jugement rendu le 24 juin 2014 par le Tribunal de commerce de Lyon devait retenir : « Il s’infère de ces différentes constatations que la société [franchisée] n’a pas mis en œuvre de bonne foi la clause résolutoire visée à l’article 13b du contrat de franchise du 28 avril·2008, contrairement aux dispositions de l’article 1134 du Code civil » et « la résiliation opérée doit donc être déclarée abusive ». Le juge du fond a également jugé que les différents griefs articulés par la société franchisée contre la société franchiseur pour servir de fondement à sa demande de résiliation judiciaire du contrat, n’étaient pas établis, aucun manquement de la société franchiseur à son obligation de délivrer un savoir-faire et une assistance personnelle n’étant démontré et aucun comportement déloyal ne pouvant être imputé à la société franchiseur dans l’implantation d’enseignes concurrentes sur le haut minervois, en l’absence de toute exclusivité territoriale consentie au franchisé.
5. Instance au fond (CA Paris, 14 décembre 2016, n°14/14207). Statuant sur l’appel formé au fond par la société franchisée, la Cour d’appel (CA Paris, 14 décembre 2016, n°14/14207) retient notamment que le jugement dont appel doit être confirmé en ce qu’il a rejeté la demande en nullité du contrat de franchise pour erreur sur la substance et estimé que la résiliation opérée était abusive. La Cour d’appel écarte par ailleurs la demande fondée sur l’abus de dépendance économique, dont est saisie la cour dans le cadre d’une autre instance.
Pour ce qui concerne la question plus spécifique du déséquilibre significatif – qui fait l’objet du présent commentaire –, il convient de souligner que la société franchisée demande dans son dispositif de constater au sens de l’article L. 442-6-I 2° du Code de commerce le déséquilibre significatif résultant dans le contrat de la clause n° 1 b) prévoyant qu’aucune exclusivité territoriale n’est donnée au franchisé et de la clause de non-concurrence post contractuelle (article 14) par laquelle le franchisé s’oblige sur un périmètre de 30 kilomètres autour du fonds de commerce, en sorte que le franchisé, quelles que soient les conditions de la résiliation du contrat, ne peut se réimplanter dans un périmètre de 30 kilomètres autour du fonds lorsque le franchiseur lui-même a pu y développer ses propres enseignes ; en conséquence des dispositions précitées, prononcer l’annulation des articles 1 b) et 14 du contrat. Cette question relève de la compétence du juge du fond, le juge des référés n’étant pas compétent pour se prononcer sur l’existence d’un déséquilibre significatif au sens de ce texte (v. par ex., CA Paris, 22 janvier 2015, n°14/17588).
Pour rejeter la demandée formée par la société franchisée, la Cour d’appel retient que celle-ci « n’explique pas en quoi l’absence d’exclusivité territoriale du franchisé serait déséquilibrée au regard de la clause post contractuelle de non concurrence, interdisant, pendant un an au franchisé, à compter de la cessation du contrat de franchise, dans un rayon de 30 km du magasin exploité dans le cas d’une zone rurale et dans un rayon de 10 km dans une zone urbaine, de participer à l’exploitation d’un fonds de commerce, d’une entreprise ayant une activité identique ou similaire à l’unité en franchise et de s’affilier, adhérer ou participer à une chaîne concurrente du franchiseur ou d’en créer une lui-même. En effet, cette clause de non-concurrence post contractuelle, d’une durée limitée, a pour objet de protéger le savoir-faire de l’ancien franchiseur et éviter qu’il ne soit divulgué dans un autre réseau. Il s’agit donc d’une restriction de concurrence justifiée par l’objet de la franchise lui-même. Par ailleurs, il n’entre pas dans l’objet spécifique de la franchise de protéger le franchisé de la concurrence d’autres franchisés dans la même zone de chalandise durant l’exécution du contrat, même si certains contrats peuvent contenir une telle protection. L’objet de ces deux clauses, contractuelles et post contractuelles, est différent et aucun déséquilibre ne saurait, en soi, en résulter, la société [franchisée] échouant à établir que la clause de non concurrence post contractuelle serait disproportionnée au regard des obligations mises à la charge du franchiseur, de mise à disposition de l’enseigne, de fourniture du savoir-faire et d’assistance ».
6. Instance au fond (Cass. civ. 1ère, 30 mai 2018, n°17-14.303). La société franchisée forme un pourvoi en cassation, et fait notamment grief à l’arrêt de la Cour d’appel de Paris de rejeter sa demande fondée sur le déséquilibre significatif alors, selon le troisième moyen formulé au soutien du pourvoi :
1°/ qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; qu’en l’espèce, ainsi que l’a relevé la cour d’appel, la société franchisée a soutenu, au visa explicite du jugement rendu le 3 mars 2016 par le Tribunal de commerce de Marseille, qu’un tel déséquilibre affectait le contrat de franchise dans la mesure où d’une part, elle avait été elle-même privée de toute protection contre la concurrence d’autres franchisés dans la zone de chalandise, par l’absence de clause d’exclusivité, tandis que le franchiseur se ménageait, par la clause de non-concurrence post-contractuelle, une protection contre sa concurrence dans un périmètre très élargi autour de cette zone de chalandise ; que, pour écarter ce moyen la cour d’appel a retenu que la clause de non-concurrence post-contractuelle était une restriction de concurrence légitime, justifiée par l’objet de la franchise lui-même, dans la mesure où, « d’une durée limitée, (elle) a pour objet de protéger le savoir-faire de l’ancien franchiseur et éviter qu’il ne soit divulgué dans un autre réseau » tandis que la franchise n’avait pas pour objet de protéger le franchisé de la concurrence d’autres franchisés ; que, cependant, le jugement susvisé du 3 mars 2016, qui a autorité de la chose jugée, a annulé la clause de non-concurrence post-contractuelle, au constat de ce que la société franchiseur n’apportait pas la preuve, exigée par les dispositions de l’article 5 du règlement CE n° 330/2010 du 20 avril 2000, de ce qu’elle disposait « d’un savoir-faire suffisamment spécifique et original, dont pourrait bénéficier la société X… (franchisée), après la rupture de leurs relations commerciales » qu’en se déterminant de la sorte, la cour d’appel a violé l’article 480 du code de procédure civile, ensemble l’article L. 442-6 I 2° du code de commerce par fausse application ;
2°/ que la société X… (franchisée) ne niait pas qu’une clause de non-concurrence contractuelle eût en soi pour objet de protéger un franchiseur, ni que la franchise, en soi, n’avait pas pour objet de protéger un franchisé de la concurrence d’autres franchisés ; qu’en se bornant ainsi de manière inopérante à rappeler le rôle respectif d’une telle clause et du contrat de franchise, sans rechercher, comme elle y était invitée et comme il était nécessaire, si la conjonction de ces clauses ne révélait pas que le franchiseur avait soumis ou tenté de soumettre le franchisé à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits des parties, d’autant, au regard du jugement rendu le 3 mars 2016 par le Tribunal de commerce de Marseille, explicitement visé, que le franchiseur n’avait aucun savoir-faire spécifique à protéger, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 442-6 I 2° du code de commerce ;
3°/ que pour écarter le moyen de la société X…, la cour d’appel a retenu que « l’objet de ces deux clauses, contractuelles et post-contractuelles, est différent et aucun déséquilibre ne saurait, en soi, en résulter » ; en soumettant ainsi l’existence d’un déséquilibre significatif introduit par deux clauses dans les droits et obligations des parties à l’exigence d’une identité d’objet entre ces clauses, la cour d’appel, qui a rajouté aux exigences de la loi, a violé l’article L. 442-6 1 2° du code de commerce.
En premier lieu, la Cour de cassation retient que le rejet du premier moyen – qui faisait valoir que le jugement rendu le 3 mars 2016 par le Tribunal de commerce de Marseille avait autorité de la chose jugée – rend sans portée le grief de la première branche. En effet, la Cour de cassation rejette le premier moyen dans les termes suivants : « qu’après avoir relevé que la société franchisée s’était expressément opposée à la jonction de l’instance avec celle relative à l’appel du jugement rendu le 3 mars 2016 par le tribunal de commerce de Marseille, lequel avait constaté une situation de dépendance économique de la société franchisée à l’égard de la société franchiseur, en faisant valoir que « les demandes de part et d’autre sont différentes ainsi que les moyens exposés », l’arrêt en déduit que la société X… est irrecevable à demander à la cour d’appel de tirer toutes les conséquences de ce jugement ; que par ce seul motif, faisant ressortir que la société X… avait adopté un comportement contradictoire au détriment de la société Casino, qui la privait de la possibilité de se prévaloir des dispositions du jugement précité, la cour d’appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n’est pas fondé ».
En second lieu, la Cour de cassation considère qu’après avoir retenu que la société franchisée n’expliquait pas en quoi l’absence d’exclusivité territoriale au bénéfice du franchisé constituerait un déséquilibre au regard de la clause post-contractuelle de non-concurrence, dès lors que cette clause, d’une durée limitée et qui a pour objet de protéger le savoir-faire de l’ancien franchiseur et d’éviter qu’il ne soit divulgué dans un autre réseau, est une restriction justifiée par l’objet de la franchise, l’arrêt relève que la clause de non-concurrence post-contractuelle n’est pas disproportionnée au regard des obligations à la charge du franchiseur, de mise à disposition d’une enseigne, de fourniture d’un savoir-faire et d’assistance, et en déduit qu’aucun déséquilibre ne saurait, en soi, en résulter ; elle retient alors qu’en l’état de ces motifs, la cour d’appel, qui n’a pas soumis l’existence d’un déséquilibre significatif à l’exigence d’une identité d’objet entre les clauses et n’avait pas à effectuer la recherche inopérante invoquée par la deuxième branche, a légalement justifié sa décision.
7. Commentaire. Le tentaculaire article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce suscite certains espoirs, en témoignent la jurisprudence grandissante rendue en la matière (Déséquilibre significatif (article 442-6, I, 2° du code de commerce) – Panorama de jurisprudence), notamment en présence d’un contrat de franchise (v. par ex., CA Paris, 13 septembre 2017, n°14/02548 ; CA Paris, 14 décembre 2016, n°14/14207). La clause de non-concurrence post-contractuelle ne pouvait donc échapper à cette tentation grandissante, ce d’autant qu’aucun obstacle n’empêche, du moins par principe, de soutenir qu’une telle clause insérée dans un contrat de franchise serait porteuse d’un « déséquilibre significatif ». L’arrêt commenté constitue une première dans la mesure où la haute juridiction se prononce pour la première fois sur l’application de l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce à une clause de non-concurrence post-contractuelle. Aussi, la solution dégagée par l’arrêt commenté et sa motivation inspirent-elles de nombreuses observations.
En premier lieu, la société franchisée avait sollicitée tout au long de la procédure la nullité du contrat de franchise fondée à la fois sur l’erreur sur la substance, mais également sur l’abus de dépendance économique, demandes successivement rejetées par le Tribunal de commerce puis la Cour d’appel de Paris. Le premier moyen du pourvoi, non reproduit par le présent commentaire, faisait à son tour grief à la Cour d’appel de Paris d’avoir déclaré irrecevable sa demande en nullité du contrat fondée sur l’abus de dépendance économique. On l’a bien compris, la demande de nullité avait notamment pour intérêt de « faire sauter » la clause de non-concurrence post-contractuelle prévue par le contrat dont la nullité était (en vain ici) sollicitée.
Afin de se prémunir de l’inapplicabilité de la clause de non-concurrence post-contractuelle en cas de nullité de contrat, il est toutefois possible de combiner une telle clause avec une « clause de sauvetage de la clause de non-concurrence post-contractuelle », dont certains auteurs soulignent à juste titre la validité, notamment dans les contrats de distribution (C. Noblot, La clause de sauvetage de la clause de non-concurrence post-contractuelle en cas d’anéantissement d’un contrat de distribution, Contrats Concurrence Consommation n° 2, Février 2017, form. 2). Au cas présent, une telle clause n’avait manifestement pas été prévue.
En deuxième lieu, la clause de non-concurrence post-contractuelle examinée au cas d’espèce échappe manifestement au champ d’application de loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron », dont l’article 31 a complété le livre III du Code de commerce d’un titre IV intitulé « Des réseaux de distribution commerciale », comportant deux nouveaux articles L. 341-1 et L. 341-2, textes abondamment commentés en son temps (LDR, Numéro Spécial : Loi Macron, 12 août 2015). En effet, ce texte n’est entré en vigueur qu’à « l’expiration d’un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi » ; la jurisprudence n’a pas définitivement tranché la question de savoir si elle s’appliquait aux contrats en cours (sans doute faudra-t-il attendre que la question soit posée à la Cour de cassation pour que la haute juridiction tranche définitivement ce point de droit), ainsi que l’a indiqué le Conseil constitutionnel dans un communiqué ; tout au plus, a-t-il été souligné que ce texte ne peut s’appliquer à un contrat résilié avant le 6 août 2016 (v. pour une application, Trib. com. Paris, 13 juin 2018, n°2016/028495). Mais, quoiqu’il en soit, au cas d’espèce, le franchisé ayant unilatéralement résilié le contrat de franchise le 27 décembre 2013, la loi du 6 août 2015 ne s’appliquait pas.
Pour ce qui concerne l’application dans le temps de l’article L. 442-6 I 2° du Code de commerce, ce texte est entrée en vigueur le 6 août 2008. Et, en application de l’article 2 du Code civil, « la loi ne dispose que pour l’avenir. Elle n’a point d’effet rétroactif ». Conformément au principe de non-rétroactivité des lois, les contrats en cours demeurent soumis à la loi qui était applicable au jour de leur conclusion (Cass. civ. 1ère, 4 décembre 2001, Bull. civ. I, n° 307), et la loi nouvelle ne s’applique pas aux contrats en cours, quand bien même elle serait d’ordre public (Cass. civ. 1, 17 mars 1998, Bull. civ. I n° 115 ; Cass. civ. 2, 5 juillet 2006, Bull. civ. II, n° 180). Dans les hypothèses où les contrats ont été conclus avant le 6 août 2008, les cours et tribunaux n’ont jamais appliqué la loi nouvelle et ont toujours appliqué la loi ancienne (v. ainsi : CA Paris, 23 février 2012, n°08/15137 pour des contrats conclus en 2004 et 2005 ; CA Nîmes, 8 mars 2012, n°11/00692 pour des contrats conclus en 2002 et 2003 ; CA Toulouse, 5 octobre 2011, n°09/04975 pour un contrat conclu en 2007). Curieusement, en l’espèce, nous croyons comprendre de la lecture des décisions successivement rendues dans cette affaire que le contrat de franchise a été conclu le 28 avril 2008 – donc avant même l’entrée en vigueur de ce texte –, avant que celui-ci soit prorogé de 7 années par un avenant le 4 juin 2010, la date du terme étant fixée au 1er juin 2017. Ce faisant, il nous semble que le texte n’était pas applicable, car en présence d’une prorogation du contrat, la loi applicable reste celle qui présidait lors de la conclusion du contrat initial (CA Paris, 29 nov. 2007, Juris-Data n°353808), soit en l’espèce le 28 avril 2008, donc avant même l’entrée en vigueur du texte (le 6 août 2008). Cet argument n’a pourtant pas été invoqué en l’espèce.
En troisième lieu, il convient de souligner – quoique cette précision ne soit pas une surprise – qu’il appartient au franchisé sollicitant l’application de l’article L. 442-6 I 2° du Code de commerce de démontrer que la clause de non-concurrence post-contractuelle est significativement déséquilibrée.
L’article L.442-6, I, 2° du Code de commerce ne prévoyant en effet aucun régime probatoire dérogeant au droit commun, il appartient au demandeur à l’action de démontrer le caractère déséquilibré de la clause litigieuse au titre de l’article 1315 du code civil. Lorsque le caractère déséquilibré d’une clause est rapporté, il appartient donc au défendeur de justifier de l’éventuel rééquilibrage que peuvent offrir d’autres stipulations du contrat. La Cour de cassation (Cass. com., 3 mars 2015, n°13-27.525, Publié au bulletin) retient que les juges du fond, en exigeant du défendeur qu’il établisse que la clause litigieuse a bien été rééquilibrée par d’autres clauses du contrat, n’ont pas inversé la charge de la preuve ; le défendeur doit donc « prouver l’éventuel rééquilibrage par d’autres clauses du contrat » (v. aussi, CEPC, avis n°16-9 du 12 mai 2016 ; CEPC, avis n°15-1 du 30 septembre 2015 ; CA Paris, 4 juillet 2013, n°11/17941).
En quatrième lieu, pour écarter en l’espèce l’application de l’article L. 442-6 I 2° du Code de commerce, l’arrêt commenté relève que la clause de non-concurrence post-contractuelle n’est pas disproportionnée au regard des obligations à la charge du franchiseur ; en l’espèce, ces obligations consistaient en la mise à disposition d’une enseigne et la fourniture d’un savoir-faire et d’assistance. Il est intéressant d’observer que l’arrêt se réfère à l’ensemble des obligations essentielles pesant sur le franchiseur, et non pas seulement à l’obligation de transmission du savoir-faire : « la clause de non-concurrence post-contractuelle n’est pas disproportionnée au regard des obligations à la charge du franchiseur, de mise à disposition d’une enseigne, de fourniture d’un savoir-faire et d’assistance ». Ainsi, l’appréciation de la validité de la clause de non-concurrence post-contractuelle est une chose – elle impose que son créancier dispose d’un savoir-faire (pour autant que la loi n°2015-990 du 6 août 2015 trouve à s’appliquer) –, tandis que l’appréciation de l’application de l’article L. 442-6 I 2° du Code de commerce relatif au déséquilibre significatif en est une autre, puisqu’elle impose d’examiner les différentes obligations pesant sur le créancier de cette obligation. Cette solution est justifiée : le déséquilibre significatif s’apprécie globalement, au regard de l’économie générale du contrat (Cass. com., 29 septembre 2015, n°13-25043 ; Cass. com., 27 mai 2015, n°14-11.387 ; Cass. com., 3 mars 2015, n°13-27.525).
En cinquième lieu, la décision commentée présente encore un intérêt en raison de l’absence d’exclusivité territoriale consentie au franchisé, qui soulève une double question : la première de principe, la seconde d’ordre rédactionnel.
Au plan des principes, la Cour d’appel de Paris – en cela approuvée par la Cour de cassation – ne voit pas dans l’absence d’exclusivité territoriale un élément suffisant pour caractériser en soi l’existence d’un déséquilibre significatif au sens de l’article L. 442-6 I 2° du code de commerce. Cette solution nous semble justifiée dans la mesure où la cause de l’obligation de non-concurrence post-contractuelle réside dans la protection du réseau et/ou de son savoir-faire, laquelle est indifférente à l’existence (ou non) d’une exclusivité territoriale. De plus, de lege lata, l’existence d’une exclusivité territoriale n’a au demeurant jamais constitué une condition de validité de la clause de non-concurrence post-contractuelle.
Au plan rédactionnel, il convient de prendre garde aux différents paramètres qui conditionnent la portée de la clause de non-concurrence post-contractuelle (l’activité interdite, la durée de l’interdiction et, enfin, son étendue territoriale).
Classiquement, dans le courant des années 2000 (bien avant l’entrée en vigueur de la loi Macron donc), pour être valable, un tel engagement de non-concurrence ne pouvait être valablement contractée que si la restriction d’activité qu’il entraîne pour le débiteur était à la fois limitée, d’une part, quant au genre d’activité concernée et, d’autre part, dans l’espace ou dans le temps, et « proportionnée aux intérêts légitimes à protéger » (Cass. 1ère civ., 11 mai 1999 : Contrats, conc., consom. 1999, comm. n°137). Ces exigences se sont progressivement durcies, au nom du contrôle de la proportionnalité. Pour être valide, une clause de non-concurrence post-contractuelle devait être nécessaire à la protection des intérêts légitimes du bénéficiaire, tel que par exemple à la protection du savoir-faire du franchiseur s’agissant d’une clause insérée dans un tel contrat, limitée dans le temps et dans l’espace, et proportionnée à l’objet même du contrat. Ce faisant, les praticiens ont porté une attention accrue sur le périmètre territorial prévu par la clause de non-concurrence post-contractuelle. A cet égard, une distinction peut être faite en pratique. Lorsque le franchisé est lui-même créancier d’une obligation de non-concurrence sur un territoire donné – le cas général –, les choses sont relativement simples : la logique veut en effet que l’obligation de non-concurrence post-contractuelle corresponde le plus souvent au territoire exclusif conféré au franchisé pendant toute la durée du contrat (CA Rennes, 17 janv. 2012, n°10/07801) ; c’est pourquoi la jurisprudence a parfois annulé la clause de non-concurrence post-contractuelle qui s’étend au-delà de ce territoire exclusif ou dont le territoire n’est pas même défini (Cass. com., 8 juin 2017, n°15-27146) ; mais, en définitive, l’essentiel tient au fait que l’interdiction érigée par une telle clause vise la zone de chalandise du point de vente exploité par le débiteur de l’obligation (CA Bourges, 2 mai 2013, n°12/00818), encore que – dans certains cas – la jurisprudence a considéré que l’interdiction de non-concurrence post-contractuelle est disproportionné alors même qu’elle correspond au territoire concédé (CA Paris, 13 déc. 2017, n°13/12625 : retenant que « la clause insérée au contrat de franchise conclu avec la société M qui s’étend à l’ensemble du territoire concédé, soit à toute la communauté urbaine de Lille, n’est pas limitée aux locaux et aux terrains où le franchisé exerçait son activité »), sorte d’application de la loi Macron avant l’heure. Lorsqu’à l’inverse, comme en l’espèce, le franchisé ne bénéficie d’aucun territoire exclusif, les choses deviennent un peu plus compliquées car – par définition – le « repère » (relatif) que peut constituer le territoire exclusif dont le franchisé bénéficie n’existe plus. Mais, ici encore, il appartient alors au franchisé désireux d’annuler la clause de non-concurrence post-contractuelle de démontrer que le territoire attaché celle-ci est disproportionné ; le franchisé doit alors se rattacher à la notion de zone de chalandise, en vue de démontrer que celle-ci est plus restreinte que celle définie par la clause de non-concurrence post-contractuelle.
Toujours est-il que, dans un cas comme dans l’autre, l’entrée en vigueur de la loi dite Macron exerce une incidence sur tout ce qui précède. En effet, pour ce qui concerne les contrats de franchise entrant dans le champ d’application de cette loi, le « territoire » attaché à la clause de non-concurrence post-contractuelle devra être limité au « local » dans lequel le franchisé a exercé son activité pendant la durée du contrat de franchise, que le franchisé ait par ailleurs disposé (ou non) d’une exclusivité territoriale (C. com., art. L.341-2).
En sixième lieu, la combinaison « absence d’exclusivité territoriale » et « clause de non-concurrence post-contractuelle » peut (potentiellement) comporter un autre risque. Un arrêt rendu le 9 octobre 2007 par la chambre commerciale de la Cour de cassation, non publié au bulletin (Cass. com., 9 oct. 2007, n°05-14.118, Juris-Data n°2007-040801) conduit à s’interroger sur cette question sous un autre angle. En effet, en l’espèce, un opérateur de téléphonie mobile avait conclu plusieurs contrats de franchise, sans exclusivité territoriale, mais comprenant une clause de non-concurrence post-contractuelle. Les contrats ayant été rompus, la Cour de cassation admettait la qualité de la rupture tout en censurant la partie de l’arrêt qui avait rejeté la demande d’indemnisation pour perte de clientèle, sur le fondement de l’article 1371 du Code civil relatif aux quasi-contrats (cf. troisième moyen) : « Attendu que pour rejeter la demande de la société E. en indemnité pour perte de clientèle, l’arrêt retient qu’il résulte de la formulation même de cette demande qu’une partie de la clientèle est attachée à la société S., et l’autre à l’exploitant, que ce n’est que pour cette seconde part que la société E. pourrait formuler des prétentions, mais qu’elle n’apporte sur ce point aucun élément qui puisse être mis en relation directe et nécessaire avec le fait de S. ; Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’elle constatait, tout à la fois, que le franchisé pouvait se prévaloir d’une clientèle propre, et que la rupture du contrat stipulant une clause de non-concurrence était le fait du franchiseur, ce dont il se déduisait que l’ancien franchisé se voyait dépossédé de cette clientèle, et qu’il subissait en conséquence un préjudice, dont le principe était ainsi reconnu et qu’il convenait d’évaluer, au besoin après une mesure d’instruction, la cour d’appel a violé le texte susvisé ». Au cas présent, c’est bien l’absence d’exclusivité associée à une obligation de non-concurrence post-contractuelle, ajouté au constat que le franchisé disposait d’une clientèle propre, qui semble avoir justifié l’octroi d’une indemnisation sur le fondement de l’article 1371 du Code civil. Mais depuis l’arrêt précité du 9 octobre 2007, il est vrai que les choses ont bien changé : la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 16 septembre 2009, n°08/23780), cour d’appel de renvoi, a rejeté les demandes de l’ancien franchisé tendant à la réparation du préjudice issu de sa perte de clientèle au motif que la grande majorité de la clientèle dont se prévalait l’ancien franchisé était en réalité exclusivement attachée au franchiseur, s’agissant d’abonnements téléphoniques. Par ailleurs, la Cour relevait que le franchisé restait libre d’exploiter le reste de sa clientèle, la clause de non-concurrence lui interdisant uniquement pendant un an de démarcher les abonnés SFR ayant souscrit un abonnement par son intermédiaire. Puis, saisie du pourvoi formé contre l’arrêt du 16 septembre 2009, la Cour de cassation (Cass. com., 23 octobre 2012, n°11-21.978) a mis fin aux doutes qu’elle avait introduits par son arrêt de 2007, en rejetant le pourvoi en considérant finalement que « les règles gouvernant l’enrichissement sans cause ne peuvent être invoquées dès lors que l’appauvrissement et l’enrichissement allégués trouvent leur cause dans l’exécution ou la cessation de la convention conclue entre les parties ».
A rapprocher : CA Paris, 30 mai 2018, n°16/22504 (retenant la parfaite licéité d’une clause de non-concurrence post-contractuelle au regard du droit de la concurrence)