Obligation de non-concurrence et cession de fonds de commerce

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

Cass. com., 3 mars 2015, pourvoi n°13-19.164

Lorsqu’un fonds de commerce est cédé par une personne morale au moyen d’un acte contenant une clause de non-concurrence, la responsabilité person-nelle du dirigeant de la société cédante ne saurait être engagée que si et seulement si celui-ci a signé l’acte à titre personnel, peu important qu’il l’ait par ailleurs signé en sa qualité de représentant légal de ladite société.

Dans cette affaire, les faits étaient simples et classiques, ce qui donne à cette décision une portée significative.

En effet, selon l’arrêt attaqué (CA Paris, 14 mars 2013, RG n°12/07837, inédit), le 31 août 2009, la société C… avait cédé à la société A… un fonds de commerce de coiffure qu’elle exploitait et s’était engagée de ne pas se rétablir dans un périmètre de un kilomètre et demi du lieu d’exploitation du fonds cédé et ce pendant une durée d’un an ; Mme X…, ancienne salariée de la société C… avait créé peu de temps après la cession, le 12 octobre 2009, la société X…, pour exploiter un fonds de commerce de coiffure à proximité du fonds ainsi acquis par la société A…, dans sa zone de chalandise ; estimant que les sociétés C… et X… n’avaient pas respecté la clause de non-concurrence de l’acte de cession et avaient commis des actes de concurrence déloyale, la société A… les avait assignées en paiement de dommages-intérêts.

Selon la Cour de cassation (Cass. com., 3 mars 2015, pourvoi n°13-19.164, non publié sur Légifrance à ce jour), en déduisant des faits de la cause que la société X… avait violé cet engagement contractuel, alors qu’il résulte des constatations de la Cour d’appel que la société X… n’avait pas souscrit l’engagement de non-concurrence contenu dans cet acte, la Cour d’appel a violé le texte susvisé.

En définitive, cette décision, qui sert de prétexte au présent commentaire, invite à prendre un certain recul sur la question, plus générale, de savoir quelles personnes, physiques ou morales, peuvent être tenues pour responsables d’un engagement de non-concurrence figurant dans un acte de cession de fonds de commerce.

Deux séries d’hypothèses doivent être distinguées :

  • lorsque, comme en l’espèce, la personne dont la responsabilité est poursuivie n’est aucunement signataire de l’acte de cession comprenant une telle clause, à quel que titre que ce soit, sa responsabilité ne saurait évidement être enga-gée que pour complicité de l’inexécution de l’obligation contractuelle par le débiteur de l’obligation ;
  • lorsqu’en revanche, la personne dont la responsabilité est poursuivie est signataire de l’acte de cession comprenant une telle clause, il convient avant tout de déterminer en quelle qualité celle-ci a signé ledit acte ; ainsi, lorsque – comme souvent – un fonds de commerce est cédé par une personne morale contenant une clause de non-concurrence, se pose la question (essentielle) de savoir si cette obligation de non-concurrence s’applique à la seule société cédante ou si, par extension, le dirigeant ayant nécessairement signé l’acte de cession en sa qualité de représentant de la personne morale cédante se trouve également engagé à titre personnel ?

Cette seconde hypothèse, tout aussi fréquente que la première, a fait l’objet d’une évolution jurispruden-tielle fournie et discutée.

Dans un arrêt remarqué, publié au Bulletin, la chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 24 mai 2005, pourvoi n°02-19.704, Juris-Data n°2005-028552, D. 2005, AJ p. 1637, obs. E. Chevrier; Contrats, conc., consom. 2005, comm. n° 135, obs. M. Malaurie-Vignal) avait adopté une vision large de l’opposabilité de l’obligation de non-concurrence qu’elle souhaitait voir étendre, au nom de la garantie légale, au dirigeant de la société obligée et à toutes personnes interposées. Elle considérait ainsi, de manière peut-être un peu radicale : « Mais attendu qu’en cas de cession d’un fonds de commerce, la garantie légale d’éviction interdit au vendeur de détourner la clientèle du fonds cédé, et que si le vendeur est une personne morale cette interdiction pèse non seulement sur elle, mais aussi sur son dirigeant ou sur les personnes qu’il pourrait interposer pour échapper à ses obligations ».

Cette vision extensive semble abolie. En effet, on s’en souvient, la chambre commerciale de la Cour de cassation par la suite retenu (Cass. com., 11 juillet 2006, pourvoi n°04-20552, D. 2006, p. 2923) que la clause de non-concurrence contenue dans un acte de cession de fonds de commerce est inopposable au dirigeant social, lorsque que ce dernier n’est pas partie à l’acte de cession dans lequel la clause est stipulée, n’y est pas nommément visé et ne l’a jamais acceptée. Par cette décision, en effet, selon l’arrêt objet du pourvoi (Agen, 22 novembre 2004), après la mise en liquidation judiciaire de la société S… dont M. X… était le dirigeant, le juge-commissaire avait autorisé le liquidateur à céder l’unité de production à la société P… ; cette cession était intervenue, le 28 avril 1999, par un acte comportant une clause aux termes de laquelle, « le vendeur s’interdisait de créer et de faire valoir directement ou indirectement aucun fonds de commerce similaire en tout ou partie à celui vendu comme aussi d’être intéressé, même à titre de simple commanditaire, dans un fonds de cette nature, ou de coopérer de quelque façon que ce soit, directement ou indirectement avec quelque autre partie que ce soit, à la création ou au développement de toute activité en rapport avec le fonds de commerce, objet de la cession », pendant une durée de 10 ans et ce dans des pays et territoires déterminés ; M. X…, qui avait saisi le tribunal d’une demande tendant notamment à voir déclarer cette inopposable à son égard, obtenu gain de cause.

Ce faisant, la société P…, cessionnaire, faisait grief à l’arrêt d’avoir déclaré la clause de non-concurrence contenue dans l’acte de cession du 28 avril 1999 inopposable à M. X… ; selon le moyen unique formé au soutien du pourvoi, le cessionnaire faisait ainsi valoir :

  • d’une part, « que, même si le vendeur d’un fonds de commerce est une personne morale, ou le liquidateur judiciaire de cette personne morale agissant en cette qualité et non personnellement, le dirigeant social de la personne morale, il n’en demeure pas moins que l’obligation de non-concurrence stipulée au contrat peut peser sur ce dernier, pour assurer l’efficacité de cette obligation contractuelle et le respect de l’intention des parties à cet égard ; que dès lors, en se bornant, pour écarter toute obligation de non-concurrence à la charge de M. X…, à relever que celui-ci n’était pas partie à l’acte de cession de fonds de commerce dans lequel était stipulée la clause de non-concurrence litigieuse, sans rechercher, comme elle y était invitée par les conclusions d’appel de la société PGF si, en sa qualité de dirigeant social de la société SIAM, dont le fonds de commerce était cédé, M. X… n’était pas aussi astreint à l’obligation de non-concurrence stipulée dans cette clause, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1134 du code civil » ;
  • et, d’autre part, « qu’en omettant de rechercher, comme elle y était invitée par les conclusions d’appel de la société PGF, si l’obligation de non-concurrence pesant sur M. X…, ancien dirigeant de la société ne résultait pas à tout le moins de l’obligation générale de loyauté de l’ex-dirigeant d’une société à l’égard de celle-ci, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du code civil ».

Pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation avait retenu : « Mais attendu qu’ayant relevé que M. X…, ancien dirigeant de la société S…, n’était pas partie à l’acte de cession dans lequel était stipulée la clause litigieuse, qu’il n’y était pas visé nommément et qu’il ne l’avait jamais acceptée, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de se livrer à la recherche invoquée par la première branche que ses constatations rendaient inopérante, non plus qu’à celle, tout autant inopérante, visée par la seconde branche, l’obligation générale de loyauté existant indépendamment de toute stipulation contractuelle, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ».

De même, a-t-il été jugé que le cessionnaire d’un fonds de commerce ne saurait reprocher aux dirigeants et associés de la société cédante, qui sont uniquement intervenus ès qualités à l’acte notarié, d’avoir personnellement violé la clause de non-concurrence dès lors qu’en l’espèce le seul « ven-deur » du fonds de commerce était la société et non les personnes physiques qui étaient associées au sein de celle-ci ou la gérante la représentant légalement (CA Nîmes, 15 octobre 2009, RG n°07/04651, Juris-Data n°2009-020148).

Dans cette affaire en effet, la clause était ainsi stipulée : « Le vendeur s’interdit formellement le droit de se rétablir ou de s’intéresser directement ou indirectement, même comme simple associés, dans un commerce de la nature de celui présentement vendu, pendant une durée de 10 ans à compter de la prise de possession est dans un rayon de 15 km du siège du fonds cédé, et par la voix la plus courte. Le tout sous peine de dommages et intérêts envers l’acquéreur où c’est cessionnaire ou ayant cause, et sans préjudice du droit pour ces derniers de faire cesser la contravention ou de faire fermer l’établissement ouvert et exploiter au mépris de la présente clause ».

En dépit de termes de cette clause qui visait bien les associés, la Cour d’appel de Nîmes retient : « Qu’il n’est nullement mentionné dans l’acte notarié que les époux ont signé l’acte de cession du fond de commerce à titre personnel ; qu’au contraire il est indiqué qu’ils ont comparu devant le notaire uniquement est-ce qualité de représentant légal et deux seuls associés, au nom et pour le compte de la SARL M… ; qu’ils ne sont donc pas personnellement parties contractantes ».


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