Communiqué de la DGCCRF du 8 mars 2016
Par ce communiqué du 8 mars 2016, la DGCCRF considère que certaines clauses insérées dans un contrat de franchise constituent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Or, rien n’indique que ces considérations ne soient pas transposables à d’autres secteurs d’activité. Ce communiqué doit donc appeler les acteurs de la franchise à la plus grande vigilance.
Ce qu’il faut retenir : Par ce communiqué du 8 mars 2016, la DGCCRF considère que certaines clauses insérées dans un contrat de franchise constituent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Or, rien n’indique que ces considérations ne soient pas transposables à d’autres secteurs d’activité. Ce communiqué doit donc appeler les acteurs de la franchise à la plus grande vigilance.
Pour approfondir : Selon l’analyse tout récemment réalisée par la DGCCRF quant aux relations contractuelles entre douze franchiseurs et leurs franchisés, dans le secteur de la restauration rapide et à thème, de nombreuses clauses insérées dans des contrats de franchises seraient « déséquilibrées » ; le communiqué de la DGCCRF comporte un chapeau, se voulant résumer – et donner le ton – de ce qui peut constituer une petite révolution en matière de « déséquilibre significatif » ; ce chapeau est ainsi rédigé : « Mené au regard des pratiques restrictives de concurrence, l’examen par la DGCCRF des clauses contractuelles et pratiques commerciales entre franchisés et franchiseurs dans le secteur de la restauration rapide et à thème a fait apparaître de nombreuses clauses déséquilibrées au profit de certains franchiseurs ».
Ce communiqué comporte une liste précise des clauses ainsi considérées comme « déséquilibrées » ; nous reprendrons certaines d’entre elles, en formulant les observations qui s’imposent.
En premier lieu, il s’agit de clauses imposant une redevance ne comportant pas (selon la DGCCRF) de contrepartie suffisante. Le texte du communiqué indique en effet : « Parmi les relations commerciales déséquilibrées au détriment du franchisé, des clauses imposant le paiement d’une redevance de communication pour assurer la promotion du réseau, ou d’une redevance permanente pour bénéficier de l’assistance du franchiseur, ont été identifiées. Or, le service prévu en contrepartie n’est pas toujours suffisant » (nous soulignons).
Cette première considération appelle au moins trois remarques :
- d’une part, il est vrai que la disproportion entre les services rendus à un partenaire commercial et la rémunération qu’il verse en contrepartie (à la tête d’un réseau, à une centrale d’achats ou de référencement par exemple), peut constituer une pratique restrictive de concurrence, sanctionnée par l’article L. 442-6 du code de commerce (CA Paris, 4 octobre 2012, RG n°11/12684 : aboutissant à la condamnation d’une tête de réseau) ;
- d’autre part, le caractère « suffisant » (ou non) du service prévu est par nature subjectif et donne potentiellement prise à toute forme de contestation, avant la formation du contrat de franchise comme au cours de son exécution ;
- enfin, la DGCCRF se contente d’énoncer cette règle sans pour autant indiquer le « critère » en considération duquel ce caractère suffisant pourrait être décelé ; ce faisant, la démarche, qui se veut a priori louable, pose en définitive plus de problèmes qu’elle n’en résout : en effet, faut-il apprécier la qualité du service prévu et sa contrevaleur monétaire de manière intrinsèque, c’est-à-dire en ne considérant que la valeur de cette prestation, prise isolément ? cette contrevaleur impose-t-elle au contraire de se livrer à une appréciation tenant compte, plus globalement, de la situation économique des deux parties, le franchiseur et le franchisé ? ou faudra-t-il que cette appréciation aille encore plus loin, et conduise notamment à examiner, de manière empirique, la valeur attribuée à tel ou tel type de service par des réseaux concurrents (pour autant que la comparaison soit possible) ?
Le communiqué de la DGCCRF laisse ces questions sans réponse, et génère ainsi – involontairement mais nécessairement – une forte imprévisibilité juridique, en même temps qu’une source certaine de contentieux, ce communiqué étant de nature à inciter les franchisés à contester, sous l’angle du « déséquilibre significatif », le prix de tel ou tel service prévu au contrat de franchise. Tout cela a de quoi inquiéter. Autre source d’inquiétude – et non des moindres –, le communiqué de la DGCCRF se garde de rappeler la jurisprudence de la Cour de cassation qui, particulièrement active sur ce point en 2015, s’attache à rappeler fermement – aux antipodes de la démarche visiblement adoptée par la DGCCRF – que le « déséquilibre significatif » ne peut s’apprécier clause par clause, mais doit s’apprécier à l’échelle du contrat tout entier (ce qui change tout en pratique). Ainsi, dans un arrêt rendu le 3 mars 2015, la Haute juridiction affirme que « l’article L.442-6, I, 2° invite à apprécier le contexte dans lequel le contrat est conclu et son économie » et que, en l’espèce, la Cour d’appel « ne s’est pas déterminée en considération des seules clauses litigieuses » et qu’elle a donc « satisfait aux exigences de l’article L.442-6, I, 2 » (Cass. com., 3 mars 2015, n°13-27.525). De même, dans son arrêt rendu le 27 mai 2015, la Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir constaté, s’agissant d’une clause générant une distorsion dans les délais de paiement au profit du distributeur, que ce dernier « n’offrait pas de justifier que d’autres clauses du contrat permettaient de rééquilibrer les obligations des parties » (Cass. com., 27 mai 2015, n°14-11.387).
En deuxième lieu, il s’agit de clauses prévoyant un montant du droit de renouvellement du contrat de franchise presque identique à celui du droit d’entrée, lesquelles apparaissent disproportionnées (toujours selon la DGCCRF) et peuvent ainsi créer un déséquilibre significatif avantageant le franchiseur. Le texte du communiqué indique en effet : « Le montant du droit de renouvellement du contrat de franchise – parfois identique au premier droit d’entrée – apparaît comme disproportionné. Il s’agit là encore d’un déséquilibre significatif de la relation commerciale avantageant le franchiseur ». Ce mécanisme est connu. On comprend bien l’idée, mais les mêmes remarques que celles formulées au titre de la première catégorie de clauses ne semblent ici encore pleinement justifiées.
En troisième lieu, il s’agit de clauses prévoyant que le franchiseur pourra unilatéralement modifier le contrat. Sur ce point, une nuance nous semble devoir être apportée. Soit l’on considère que le contrat de franchise contient une clause permettant au franchiseur de modifier, comme bon lui semble, tout ou partie du contrat, sans modalités ni limites – autres que celles résultant du « bon vouloir » du franchiseur – et, dans ce cas, il va de soi qu’une telle clause ne peut survivre à l’épreuve du déséquilibre significatif ; tout cela est parfaitement justifié. Soit l’on considère que le contrat de franchise contient une clause permettant au franchiseur de modifier, dans des conditions prédéfinies, certains aspects du contrat, suivant certaines modalités et certaines limites prédéterminées, auxquelles le franchisé a consenti par avance. Dans ce cas, qui correspond notamment à l’hypothèse d’une clause d’évolution, il ne doit y avoir aucune difficulté car le franchisé, en acceptant le contenu de cette clause, sait exactement ce à quoi il a par avance consenti.
En quatrième lieu, il s’agit de clauses prévoyant que la perte du droit d’entrée si le franchisé échoue à l’examen durant la formation. Soyons clairs. Cette considération montre (hélas) que la DGCCRF n’a manifestement pas compris ce qu’un réseau de franchise représente. Le franchiseur dépense continuellement de l’argent pour sélectionner de bons candidats à la franchise ; les critères sont nombreux et, dans certains réseaux, le franchiseur se montre à juste titre sélectif, soucieux qu’il est de privilégier la qualité des franchisés (au demeurant au profit des consommateurs et de l’image du réseau tout entier (les autres franchisés y compris donc …)) plutôt que la quantité. Or, une telle sélection peut représenter un coût très important pour le franchiseur. Une fois le candidat à la franchise sélectionné, et le contrat signé, le franchisé reçoit la bible du savoir-faire et suit une formation au métier qu’il s’apprête à exercer et aux méthodes du réseau qu’il a décidé de rejoindre. Ici encore, une telle formation représente bien souvent un coût important pour le franchiseur. Enfin, le sens même de la démarche que nous décrivons n’est pas tant d’assurer une formation mais bien d’inculquer un savoir-faire. Ce savoir-faire constitue le pilier central de la franchise, au double plan juridique et économique. Juridiquement, car chacun sait que l’existence même du savoir-faire est une condition de validité du contrat de franchise, et que le défaut de transmission du savoir-faire peut justifier à lui seul la résiliation de ce contrat. Et puis, économiquement, car chacun sait également que les franchisés qui réussissent le mieux sont précisément ceux qui dupliquent le mieux le savoir-faire du réseau. A tel point d’ailleurs que la solution préconisée par la DGCCRF aboutirait à une situation défavorable à la totalité des acteurs ; le franchisé exerçant son activité sans avoir digéré le savoir-faire risquerait fort de ne pas tirer profit de cette activité (quand il ne déposera pas le bilan …), ce même franchisé ne parviendra pas – faute de savoir-faire – au degré d’exigence attendu du consommateur (qui en pâtira et ira à la concurrence), et dégradera par la même occasion l’image du réseau (au préjudice du franchiseur et des autres franchisés du réseau là encore …). Il y en aurait encore beaucoup à dire à ce sujet, mais l’on voit bien que les seules observations qui précèdent suffisent à critiquer fermement la position ainsi adoptée par la DGCCRF.
En cinquième lieu, il s’agit de clauses ouvrant « au franchiseur un accès illimité et sans réserve à ses données informatiques ». Il faut dire tout d’abord que le grief ainsi formulé manque en soi de précision, mais ce sont là les « limites » d’un communiqué. Selon nous, le « critère » devant permettre de déterminer si de telles dispositions sont critiquables ou non dépend essentiellement, sinon même exclusivement, du point de savoir si un tel mécanisme est justifié au regard de l’objet du contrat et des avantages que le réseau tout entier pourra tirer des remontées d’informations ainsi organisées.
Le contrôle des pratiques commerciales dans le secteur de la restauration rapide et à thème a conduit la DGCCFR à émettre cinq avertissements, deux projets d’assignation et deux projets d’injonction et à garder le secteur sous surveillance. Ce communiqué doit donc appeler les acteurs de la franchise à la plus grande vigilance, même s’il faut rappeler que l’article L.442-6, I, 2° du code de commerce ne prévoit aucun régime probatoire, et qu’il appartient donc au demandeur de démontrer le caractère déséquilibré de la clause litigieuse au titre de l’article 1315 du code civil.
A rapprocher : Voir aussi notre analyse comparée, à propos de Cass. com., 3 mars 2015, n°13-27.525 ; Cass. com., 27 mai 2015, n°14-11.387 ; TC Paris, 7 mai 2015, RG n°205000040 ; TC Paris, 24 mars 2015, RG n°2014027403 ; CA Paris, 1er juillet 2015, RG n°13/19251 ; v. aussi, notre Etude consacrée au déséquilibre significatif au sens de l’article 442-6, I, 2° du code de commerce : Panorama de jurisprudence 2016-2017 (116 décisions et avis commentés)