Etude d’ensemble
La prorogation du contrat de franchise obéit à différentes conditions, qui impliquent de prendre en considération le droit commun (C. civ., art. 1213), le devoir général d’information (C. civ., art. 1112-1) et l’obligation d’information précontractuelle (C. com., art. L.330-3).
Ce qu’il faut retenir : La prorogation du contrat de franchise obéit à différentes conditions, qui impliquent de prendre en considération le droit commun (C. civ., art. 1213), le devoir général d’information (C. civ., art. 1112-1) et l’obligation d’information précontractuelle (C. com., art. L.330-3). La prorogation du contrat de franchise peut être réalisée suivant des modalités diverses, plusieurs écueils devant être par ailleurs évités. Enfin, il convient de distinguer les effets de la prorogation du contrat de franchise selon qu’ils se produisent sur les cocontractants ou les tiers.
Pour approfondir :
1. Généralités : La notion même de « prorogation du contrat » n’est pas et n’a jamais été définie par la loi, raison pour laquelle elle demeure un objet de fascination constante en doctrine (v. récemment, G. Chantepie, La durée du contrat (2nde partie – Projet, art. 1214 à 1216) », Blog Réforme du droit des obligations, dir. G. Chantepie et M. Latina, billet du 22 avr. 2015 : soulignant qu’ « il paraît utile de définir la prorogation et d’en préciser l’effet juridique ».).
Elle désigne le mécanisme permettant de différer le terme extinctif du contrat, sans pour autant créer un nouveau contrat. Elle correspond donc à une modification du contrat, par report du terme, ce qui suppose qu’elle ne puisse résulter que d’un accord de volontés, nécessairement antérieur à la survenance de ce terme.
En pratique, la prorogation du contrat peut répondre à des préoccupations les plus diverses, telles que notamment : permettre aux parties de disposer d’un délai suffisant – celui de la prorogation – en vue de renégocier les termes du contrat initial ; permettre à un cocontractant de conserver le bénéfice de certaines sûretés ; permettre à un cocontractant de bénéficier d’un délai plus important, par exemple pour obtenir un prêt ou disposer d’un délai suffisant pour échapper aux dispositions de l’article L.442-2, I, 5° du Code de commerce ; favoriser un accord transactionnel, la prorogation pouvant constituer l’une des concessions consenties entre les cocontractants ; permettre aux contractants de faire coïncider la date du terme du contrat initial sur celle d’un autre contrat ; conserver le bénéfice de la loi en vigueur au jour de la conclusion du contrat initial plutôt que de se soumettre à la loi nouvelle. Les hypothèses sont nombreuses.
Lorsqu’il s’agit d’aborder cette question sous l’angle particulier du contrat de franchise, il convient, conformément à l’analyse classique inspirée du droit commun des contrats, d’en rappeler les conditions (I) et les effets (II).
I. CONDITIONS ET MODALITÉS DE LA PROROGATION DU CONTRAT DE FRANCHISE
2. Préalable. Compte tenu de son objet, la prorogation ne se conçoit que dans un contrat à durée déterminée, qui comporte nécessairement un terme extinctif, à la différence du contrat à durée indéterminée dont l’exécution ne connaît par définition aucune limite temporelle. Ce préalable posé, il faut souligner que l’écrasante majorité des contrats de franchise sont – en pratique – des contrats à durée déterminée. Le rappel des conditions, en droit commun et en droit spécial (I.A.), pourra éclairer l’examen des aménagements contractuels rencontrés en pratique (I.B.).
I.A. Conditions de la prorogation du contrat de franchise
3. Conditions au regard du droit commun (nouvel article 1213 du Code civil). La prorogation du contrat est subordonnée à la réunion de deux conditions – qui s’imposaient dès avant l’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats –, désormais énoncées à la première phrase du nouvel article 1213 du Code civil, selon lequel « le contrat peut être prorogé si les contractants en manifestent la volonté avant son expiration ».
Primo, la prorogation du contrat ne peut intervenir que sous l’effet d’un commun accord des parties (c’est la première condition) ; il en découle qu’une partie ne saurait être engagée au-delà du terme sans y avoir elle-même consenti, conformément au principe de l’autonomie de la volonté. Et, pour être valable, l’accord tendant à la prorogation du contrat doit respecter les conditions de fond inhérentes à tout accord (capacité, consentement, etc.).
Secundo, la prorogation du contrat doit avoir été convenue entre les cocontractants avant l’expiration du terme du contrat initial (c’est la seconde condition) puisque l’on ne saurait proroger des obligations déjà éteintes. Autrement dit, la prorogation du contrat constitue un report du terme extinctif, qui ne peut résulter que d’un accord antérieur à ce dernier (Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-17649, Bull. civ. n°833). Et, passé la survenance du terme initial, il ne s’agirait plus de proroger le contrat mais d’en conclure un nouveau (Cass. civ. 1ère, 2 mars 1994, Bull. civ. n°87 ; CA Paris, 29 nov. 2007, Juris-Data n°2007-353808). Il appartient donc aux juges du fond de vérifier que les parties se sont effectivement accordées sur le report du terme du contrat initial, avant même la survenance de celui-ci (v. pour une application récente, CA Dijon, 31 mai 2018, n°15/01818). Certaines décisions commettent l’erreur de ne pas procéder à cette vérification (T. com. Nanterre, 18 mars 2015, n° 2014F00810).
Aussi, une fois le contrat éteint, les relations que les parties pourraient poursuivre ne sauraient relever que d’un nouveau contrat. C’est ce qui explique que la simple poursuite des relations contractuelles au-delà du terme du contrat initial n’emporte pas prorogation de ce contrat (v. par ex., CA Paris, Paris, 14 mars 2018, n°15/09551 (à propos d’un contrat de réservation) ; CA Versailles, 13 nov. 2008, n°07/05260 (à propos d’un contrat de franchise)). La reconduction tacite n’entraîne pas prorogation du contrat primitif, mais donne naissance à un nouveau contrat (Cass. com., 11 févr. 1997, Bull. civ. IV, n° 46 : « Mais attendu que la tacite reconduction n’entraîne pas prorogation du contrat primitif, mais donne naissance à un nouveau contrat » ; v. aussi, CA Douai, 16 juin 2016, n°15/07411 (à propos d’un contrat de franchise) : « la tacite reconduction n’entraîne pas prorogation du contrat primitif mais donne naissance à un nouveau contrat » ; CA Versailles, 17 mars 2011, n°15/09953 (à propos d’un contrat de franchise) : soulignant que « la reconduction tacite n’entraîne pas prorogation du contrat primitif mais donne naissance à un nouveau contrat dont les stipulations ne sont pas nécessairement identiques » et, sur pourvoi, Cass. com., 30 mai 2012, n°11-18779). Cette question est aujourd’hui envisagée par les nouveaux articles 1214 et 1215 du Code civil.
4. Devoir général d’information (nouvel article 1112-1 du Code civil) : Se pose la question de savoir si la prorogation du contrat de franchise rend (ou non) applicable le devoir général d’information qui pèse sur les deux partenaires – le franchiseur et le franchisé – en application du nouvel article 1112-1 du code civil (v. aussi, sur la question, F.-L. Simon, De la bonne foi et de la loyauté au stade précontractuel dans les relations franchiseur-franchisé (réforme du droit des contrats, LDR 3 janvier 2018).
La prorogation du contrat de franchise implique un échange des consentements (v. infra n°3) ; de ce fait, il nous semble que les dispositions du nouvel article 1112-1 du Code civil s’appliquent. Une distinction s’impose toutefois selon nous. En présence d’une prorogation dite « non-automatique » (v. infra n°7), les cocontractants se doivent de respecter les dispositions du nouvel article 1112-1 du Code civil, étant précisé que l’obligation d’information se rapporte alors au seul « avenant de prorogation » et non au contrat prorogé. De même, en présence d’une prorogation « semi-automatique » (v. infra n°8), le contractant ayant d’ores et déjà manifesté son consentement à la prorogation sera tenu de respecter les dispositions du nouvel article 1112-1 du code civil pour permettre à son cocontractant, appelé à décider de proroger (ou non) le contrat primitif, de s’engager en toute connaissance de cause.
5. Obligation d’information précontractuelle (article L.330-3 du code de commerce) : Se pose par ailleurs la question – plus ancienne – de savoir si le mécanisme par l’effet duquel le contrat de franchise est prorogé rend (ou non) applicable l’obligation d’information précontractuelle qui pèse sur le franchiseur, en application de l’article L.330-3 du code de commerce.
Alors qu’en cas de renouvellement du contrat de franchise, le franchiseur demeure tenu de respecter cette obligation légale d’information précontractuelle (Cass. com., 14 janvier 2003, D. 2003, note H. Kenfack, p. 2304 et somm. p. 2429, obs. D. Ferrier ; JCP E 2004, n°11, p. 420, obs. Ph. Neau-Leduc ; Cah. dr. entr. 2003, n° 3, p. 20, obs. D. Mainguy), il n’est pas nécessaire que le franchiseur respecte l’obligation légale d’information précontractuelle au moment de la prorogation ; telle est la solution retenue par la jurisprudence (CA Paris, 29 nov. 2007, Juris-Data n°353808 (solution implicite)). Cette solution peut paraître logique dans la mesure où l’obligation légale d’information est précontractuelle et concerne donc le contrat initial, dont la prorogation n’a pas donné lieu à un nouveau contrat. Le professeur Kenfack indique toutefois que « si on s’en tient à une approche purement contractuelle, il n’y a pas de contrat nouveau et la lettre de l’art. L. 330-3 c. com. n’exige pas de respecter l’obligation d’information. Toutefois, l’esprit de cet article exige du débiteur de l’obligation qu’il le fasse car il est probable que les informations préalablement communiquées ont évolué. La sécurité des transactions doit inciter les débiteurs à communiquer tout de même les informations requises dans ce cas de simple prorogation » (H. Kenfack, note sous, Cass. com., 14 janvier 2003, préc.).
I.B. Modalités de la prorogation du contrat de franchise
6. Diversité. La liberté contractuelle permet d’envisager plusieurs types de prorogation du contrat (J.-M. Mousseron, Technique contractuelle, 5e éd. par P. Mousseron, J. Raynard et J.-B. Seube, F. Lefebvre, 2017, n° 476 s.) : la prorogation peut être « non-automatique », « semi-automatique », « automatique sous condition ».
7. Prorogation non-automatique : la prorogation du contrat peut être subordonnée à la réitération de la volonté respective des deux parties, chacune d’elle ayant donc la faculté de s’y opposer. Cette première hypothèse recouvre en réalité deux sous-hypothèses.
La première sous-hypothèse est celle où le contrat n’a rien prévu concernant la prorogation du terme ; les parties sont donc libres de convenir d’en reporter le terme, en cours d’exécution du contrat, c’est-à-dire pour autant que cet accord survienne avant le terme initial. En pratique, un avenant sera généralement formalisé.
La seconde sous-hypothèse est celle où le contrat contient lui-même une clause relative à la prorogation. Selon la rédaction retenue par une telle clause, l’accord de volonté de chacune des parties pourra :
- être tacite ou exprès : lorsque la volonté doit être expresse, il est préférable que les modalités de cette expression soient précisées ;
- intervenir (ou non) dans un délai prédéterminé : ce délai est préférable, pour permettre aux parties d’être fixées suffisamment à l’avance et, le cas échéant, trouver une « solution de rechange » dans l’hypothèse où le contrat ne serait pas prorogé ;
- préciser la durée de la prorogation : à défaut, le contrat deviendra à durée indéterminée ;
- indiquer que la prorogation est sans effet sur tel ou tel tiers.
Ainsi, par exemple, pourra-t-il être prévu : « Le contrat est conclu pour une durée de sept (7) ans. Les parties décident qu’à son échéance le contrat sera prorogé,
pour une durée de deux (2) années. Par prorogation, les parties entendent poursuivre le même contrat, sans qu’il y ait formation d’un nouvel accord. Le contrat prorogé est sans effets sur la caution consentie le [●] par M. [●] au profit de XXX. En tout état de cause, l’une ou l’autre des parties pourra s’opposer à la prorogation du contrat par lettre RAR adressée six (6) mois au moins avant l’échéance du terme ».
8. Prorogation semi-automatique : la prorogation du contrat peut envisager l’accord des deux parties de manière différée. Par exemple, dès la signature du contrat initial, l’un des cocontractants peut donner irrévocablement son accord quant à la prorogation de ce contrat ; autrement dit, il consent par avance à la prorogation du contrat, abandonnée à la seule volonté de son cocontractant, qui pourra donc l’exprimer, avant la survenance du terme ou du délai prévu le cas échéant par le contrat ; il s’agit alors d’une promesse de prorogation. Et, selon la rédaction retenue par le contrat initial, on retrouve les mêmes paramètres que ceux exprimés à propos de la clause de prorogation non-automatique : selon les cas, en effet, l’accord de volonté du bénéficiaire sera ou non exprès ; l’accord de volonté du bénéficiaire sera ou non encadré dans un certain délai ; la durée de la prorogation pourra ou non être précisée. Une variante peut consister à reprendre cette configuration, l’accord de volonté du bénéficiaire étant toutefois subordonné à la réalisation de certaines conditions ; il s’agit alors de ce que l’on peut qualifier de « clause de prorogation semi-automatique sous condition ». Ainsi, il pourra être prévu – par exemple – que dans l’hypothèse où, pendant l’exécution du contrat de franchise le franchisé a constamment respecté ses obligations contractuelles, il pourra alors unilatéralement décider de proroger le contrat initial.
Ainsi, par exemple, pourra-t-il être prévu : « Le contrat est conclu pour une durée de sept (7) ans. Les parties décident qu’à son échéance le contrat pourra être prorogé pour une durée de deux (2) années, si le franchisé a continuellement respecté l’ensemble des conditions lui incombant au titre du contrat. Par prorogation, les parties entendent poursuivre le même contrat, sans qu’il y ait formation d’un nouvel accord. Le contrat prorogé est sans effets sur la caution consentie le [●] par M. [●] au profit de XXX. En tout état de cause, le franchisé pourra s’opposer à la prorogation du contrat par lettre RAR adressée au franchiseur six (6) mois au moins avant l’échéance du terme ».
9. Prorogation automatique sous condition : la prolongation du contrat peut s’effectuer automatiquement, sans réitération de la volonté des parties, qui l’ont l’une et l’autre acceptée ab initio, sous réserve de la réunion de certaines conditions ; autrement dit, les deux parties consentent par avance à la prorogation du contrat, abandonnée à la seule survenance des conditions déterminées par le contrat initial. Par exemple, les parties pourraient convenir que le contrat de franchise sera automatiquement prorogé pour telle durée supplémentaire pour le cas où le franchisé aurait réalisé tel chiffre d’affaires ; ou encore, à l’instar de certains contrats d’approvisionnement, le contrat de franchise sera automatiquement prorogé au terme initial lorsque le franchisé n’a pas acheté tel volume de marchandises auprès de la centrale d’achats ou de référencement.
10. Ecueils. Un premier écueil peut résulter de l’incidence (très éventuelle selon nous) de la notion de déséquilibre significatif. Le déséquilibre significatif peut également résulter d’une clause de prorogation tacite prévoyant une durée de préavis pour s’opposer à la prorogation nettement plus favorable à l’un des cocontractants qu’à l’autre (CA Orléans, 25 févr. 2016, RG n°15/01666).
Un autre écueil peut résulter de la durée du contrat prorogé. En effet, lorsque la loi impose une durée contractuelle maximale, la durée totale du contrat initial (jusqu’au terme de la prorogation) ne doit pas excéder cette limite. Bon nombre de contrats de franchise comportent une obligation d’exclusivité ou de quasi-exclusivité d’approvisionnement au sens de l’article L.330-1 du code de commerce, selon lequel : « Est limitée à un maximum de dix ans la durée de validité de toute clause d’exclusivité par laquelle l’acheteur, cessionnaire ou locataire de biens meubles s’engage vis à vis de son vendeur, cédant ou bailleur, à ne pas faire usage d’objets semblables ou complémentaires en provenance d’un autre fournisseur ». De même, bon nombre de contrats de franchise comportent une obligation d’exclusivité ou de quasi-exclusivité d’approvisionnement au sens de l’article 5.1.a) du Règlement n°330/2010 du 20 avril 2010, selon lequel ne peuvent pas bénéficier de l’exemption par catégorie les obligations d’approvisionnement exclusif ou quasi-exclusif d’une durée supérieure à 5 ans. Ainsi, pour prononcer la nullité d’un contrat d’approvisionnement, une cour d’appel (CA Montpellier, 15 janv. 2002, inédit) a-t-elle retenu qu’un contrat d’approvisionnement – d’une durée de sept ans (de 1995 à 1997 plus les cinq ans résultant de la prorogation) – dépassait donc la durée maximale de 5 ans prévue par le règlement communautaire d’exemption n°1984/ 83 (en vigueur à l’époque des faits) ; tout au plus, la Cour de cassation a-t-elle censuré l’arrêt d’appel, au visa de l’article 81 CE et des articles 1 et 3 du règlement no 1984/ 83 du 22 juin 1983, au motif que n’est pas nécessairement nul un accord ne remplissant pas les conditions posées par le règlement d’exemption s’il n’est pas établi qu’il a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun (Cass. com., 3 déc. 2003, Contrats, conc. consom., février 2004, p. 18, no 23,obs. M. M-V).
Toutefois, il nous semble pertinent de distinguer selon que le débiteur de l’obligation d’approvisionnement a pu (ou non) refuser le dépassement de la durée maximale du contrat ; par exemple, lorsque le débiteur de l’obligation a librement décidé de proroger le contrat initial avant son terme, les dispositions de l’article L.330-1 précitées se trouvent respectées ; lorsqu’en revanche le débiteur de l’obligation a abandonné ab initio à son cocontractant, au moyen d’une clause de prorogation semi-automatique, la faculté de proroger le contrat initial, les dispositions de ce texte sont violées. Dans le premier cas, en effet, le débiteur de l’obligation pouvait librement ne pas s’engager au-delà de la durée maximale de 10 ans ; dans le second, le dépassement de la durée maximale du contrat a été unilatéralement décidé par le créancier de l’obligation. Le raisonnement ne semble pas être remis en cause par la Cour de cassation (Cass. com. 21 février 1995, Bull. IV n°50 : « Attendu, en quatrième lieu, que l’arrêt relève que les parties ont été liées par une clause d’exclusivité pendant dix années à compter du 22 avril 1968 et que, si après le 22 avril 1978, elles ont continué à en respecter les termes, elles n’y étaient plus obligées ; qu’à partir de ces constatations et appréciations dont il résultait que, les sociétés DRT et Saint-Marc étant, à compter du 22 avril 1978, dégagées de leurs obligations contractuelles résultant de la lettre du 22 avril 1968, le contrat du 12 octobre 1984 ne constituait pas juridiquement la prorogation de celui du 22 avril 1968, la cour d’appel a déduit à bon droit que ces sociétés pouvaient, sans contrevenir aux dispositions de la loi du 14 octobre 1943, conclure un contrat contenant une clause d’exclusivité »).
II. EFFETS DE LA PROROGATION DU CONTRAT DE FRANCHISE
11. Préalable. Il convient de distinguer les effets de la prorogation du contrat de franchise selon qu’ils se produisent sur les cocontractants ou les tiers.
II.A. Effets sur les cocontractants
12. Maintien du contrat initial. En présence d’une prorogation du contrat, le contrat initial se poursuit ; à l’inverse, le contrat renouvelé donne naissance à un nouveau contrat.
La réforme du droit des contrats n’a pas modifié ces solutions. Pour ce qui concerne le renouvellement du contrat, cette solution prévalait en jurisprudence dès avant la réforme (v. en ce sens, A. Bénabent, La prolongation du contrat : RDC 2004, p. 117) ; le contrat renouvelé, comme l’a rappelé la jurisprudence de manière constante, donne toujours naissance à un nouveau contrat (Cass. civ. 3ème, 10 juin 1998 : Bull. civ. 1998, IV, n 119 ; Cass. civ. 1ère, 10 janv. 1984 : Bull. civ. 1984, I, n 6 ; Cass. civ. 1ère, 17 juill. 1980 : Bull. civ. 1980, I, n°220 ; RTD civ. 1981, 397, obs. F. Chabas). Cette solution est expressément consacrée par le nouvel article 1214 du Code civil selon lequel le « renouvellement donne naissance à un nouveau contrat (…) » ; quant à l’article 1215 du même code, il ajoute que la tacite reconduction « produit les mêmes effets que le renouvellement du contrat »). Pour ce qui concerne la prorogation du contrat, elle ne donne pas naissance à un nouveau contrat ; la solution est implicite puisqu’elle résulte du silence gardé par le législateur, qui n’a pas apporté la précision qui figure aux articles 1214 et 1215 précités.
La circonstance que le contrat initial soit maintenu emporte des conséquences pratiques : ainsi, par exemple, un manquement commis au cours du contrat initial ne saurait justifier la résiliation du contrat consécutif à son renouvellement (Cass. civ. 3ème, 7 juillet 2004, Bull. civ. II, n°146), il en va tout autrement en matière de prorogation du contrat.
13. Contenu du contrat prorogé. Par principe, le contrat initial se poursuit à l’identique, à l’exception toutefois de la clause de durée.
Toutefois, la prorogation du contrat peut s’accompagner d’une modification de certaines des obligations mises à la charge de l’une ou l’autre des parties. Dans ce cas, la volonté des parties devra être suffisamment claire pour qu’une modification du contrat puisse être opérée (CA Colmar, 9 nov. 2004, Juris-Data n°2004-274028 : constatant que, par leur volonté commune, les parties avaient décidé de proroger le contrat pour une durée de 6 mois tout en supprimant la clause de non-concurrence figurant dans le contrat ; CA Paris, 18 déc. 1996, Juris-Data n°1996-023995 : considérant que les parties avaient prorogé le contrat pour l’une des zones géographiques visées par le contrat initial).
14. Durée du contrat prorogé. En règle générale, les parties indiquent expressément la durée du contrat prorogé ; dans ce cas, il n’existe aucune difficulté, à moins que la loi impose une durée contractuelle maximale (v. supra n°10). Par exception, il arrive que les parties ne précisent pas la durée du contrat prorogé ; dans ce cas, il s’agit selon nous d’un contrat à durée indéterminée (v., en ce sens, M. Mekki, Juris-Cl., Fasc. 70 : Contrats et obligations. – Réforme du droit des obligations. – Effets du contrat).
15. Loi applicable au contrat prorogé. La loi applicable demeure celle qui présidait lors de la conclusion du contrat initial (CA Paris, 29 nov. 2007, Juris-Data n°353808). La différence entre le renouvellement du contrat (ou sa tacite reconduction) et la prorogation de celui-ci est décisive pour déterminer la loi applicable au contrat car, si le contrat est prorogé, la loi applicable est celle qui existait avant la réforme du droit des contrats, alors que si le contrat est tacitement reconduit ou renouvelé, les dispositions nouvelles de la loi seront applicables (v. Cass. civ. 3ème, 10 juin 1998, n°96-15626 : Bull. civ., III, n° 119 ; RTD civ. 1999, p. 93, obs. J. Mestre : à propos d’un contrat de bail tacitement reconduit soumis à l’article 57 A de la loi du 23 décembre 1986 et jugé applicable à compter du renouvellement du bail ; CA Caen 19 juin 2018, n° 16/02814 : à propos d’un contrat de cautionnement). Il faut évoquer l’hypothèse particulière où les parties ont décidé de proroger le contrat initial à seul dessein de le faire échapper aux dispositions de la loi nouvelle ; dans ce cas, si la difficulté probatoire est surmontée, il ne serait pas surprenant que la jurisprudence décide de neutraliser l’effet habituellement conféré à la prorogation et d’appliquer la loi nouvelle au contrat ou, alternativement, lorsque les dispositions de la loi nouvelle sont d’ordre public, d’annuler l’avenant prorogatif pour fraude.
II.B. Effets sur les tiers
16. Caution : En cas de prorogation du contrat, l’article 2316 du Code civil, qui concerne le seul report de l’échéance de la dette du débiteur principal (« La simple prorogation de terme, accordée par le créancier au débiteur principal, ne décharge point la caution, qui peut, en ce cas, poursuivre le débiteur pour le forcer au paiement. ») est inapplicable.
Il en va différemment de l’article 1213 du Code civil (« Le contrat peut être prorogé si les contractants en manifestent la volonté́ avant son expiration. La prorogation ne peut porter atteinte aux droits des tiers ») qui pourrait être invoqué par la caution pour empêcher au créancier de demander à la caution le paiement des dettes contractées par le débiteur en raison de la prorogation du contrat (V. déjà Cass. com. 9 avril 2013, Bull. civ. IV, n°56 : « sauf clause contraire, la caution qui a garanti l’exécution d’un contrat à durée déterminée n’est pas tenue de la prolongation des relations contractuelles par les mêmes parties par l’effet des prorogations ». Mais, bien entendu, le contrat de cautionnement peut prévoir le contraire.
17. Tierce complicité : Le contrat de franchise comporte bien souvent des obligations post-contractuelles incombant au franchisé : obligation de confidentialité et de non-utilisation du savoir-faire, obligation de non-concurrence, obligation de restitution des signes distinctifs, obligation de restitution des data collectées, etc. Le terme du contrat initial ou, en cas de prorogation de ce terme, le terme du contrat prorogé constitue le fait générateur de ces différentes obligations post-contractuelles, dont certaines (telle que la clause de non-concurrence) sont encadrées dans le temps. Se pose alors la question de savoir si le tiers complice peut encore voir sa responsabilité engagée lorsque celui-ci a pu se méprendre sur la date du fait générateur (par exemple lorsque celui-ci ne connaissait pas l’existence d’un avenant prorogatif).
Or, on le sait, la complicité du tiers ne peut être établie que lorsque ce dernier a connaissance de l’obligation mise à la charge du franchisé. L’une des affaires dont a eu à connaître la Cour de cassation, en matière de clause de préférence, présente à cet égard un aspect original (Cass. com., 9 juin 2009, n°08-17296). En l’espèce, il ne faisait aucun doute que le tiers savait que l’obligation en cause avait existé : le franchiseur lui avait notifié le contrat de franchise dans ce but ; la difficulté résidait dans la question de savoir si le tiers avait eu connaissance du fait que l’obligation avait subsisté. En effet, à l’époque des faits, un conflit existait entre le franchiseur et le franchisé quant à la date à laquelle les relations contractuelles avaient pris fin : le franchisé soutenait que le contrat avait pris fin dès le terme que ce dernier prévoyait expressément, alors que le franchiseur se prévalait de la prorogation du contrat au-delà dudit terme. Les démarches menées
par le tiers en vue de l’acquisition du fonds de commerce du franchisé avaient commencé entre la date du terme du contrat initial et le terme de la période de prorogation dont se prévalait le franchiseur. Plus d’un an après la cession, le Tribunal arbitral appelé à connaître de la question de la responsabilité du franchisé avait fait droit au franchiseur, et estimé que le contrat avait effectivement été prorogé au-delà du terme initialement prévu. La Cour d’appel, saisie de la question de la responsabilité du tiers acquéreur, avait estimé que ce dernier avait pu légitimement croire que les relations contractuelles avaient cessé au moment où il avait décidé d’acquérir le fonds. Même si le pourvoi formé est rejeté, ce motif est néanmoins jugé erroné par la Cour de cassation au présent (Cass. com., 9 juin 2009, n°08-17296 : « abstraction faite des motifs erronés critiqués à la première branche »).
A rapprocher : Les clauses de durée et poursuite des relations commerciales dans les contrats de distribution, LDR 1er déc. 2012